Madame de Staël entre romantisme et rovolte
Séductrice et charismatique, Madame de Staël est une des pionnières qui ont fait trembler les hommes dans ce qu’ils ont du plus cher : leur pouvoir. Bénéficiant de son statut, astucieuse, suffisamment stratégique pour ne pas tomber dans une écriture trop radicale, elle sut plaire à son époque. Il est vrai qu’elle bénéficia d’un solide “background” : fille de Necker, ministre de Louis XVI, et de Suzanne Curchod dont le salon est couru (Diderot et Buffon en sont les “stars”), elle baigne très jeune dans le monde des lettres, des idées et de la politique. Son premier livre significatif a pour sujet Rousseau : elle devient très vite l’héritière du siècles des Lumières puis la femme la plus célèbre d’Europe en sachant oser des confessions intimes sans dépasser les limite où une femme de l’époque pouvait aller sans perdre sa puissance de combat esthétique et littéraire.
Respectant cette ligne, sa Delphine devient un “best-seller” aussi célèbre que La Nouvelle Héloïse et Werther. Elle ouvre une nouvelle visée romanesque tout en cultivant la forme épistolaire dans le goût de l’époque. Mais plus que chez Goethe et Rousseau l’héroïne est vivante, moins stéréotypée. En un mot, elle est femme. Que le «seul sentiment puisse dédommager les femmes des peines que la nature et la société leur impose» n’est pas une fin en soi. L’auteure souligne que les sentiments ne sont rien face à une opinion publique avide d’autres mets. Mais le succès du livre tient aussi aux sujets qu’il aborde : des questions sociales telles que l’émigration, la religion, le divorce et l’hypocrisie des politiques.
Celui qui allait devenir Napoléon compris le danger. Mais osant braver le pouvoir, résolument constructive, Madame de Staël ne renonce pas à sa différence. Consciente de ses privilèges, elle sut agir pour dire aux hommes de prendre leur responsabilité. Actrice de sa vie, elle n’était pas de celles qui pansaient leurs plaies. La destinée et la liberté des femmes restent au centre de son combat. De la littérature prouve que l’ordre social est «tout entier armé contre une femme qui veut s’élever à la hauteur de la réputation des hommes».
Le personnel comme le politique a donc toujours éclairé ses choix. L’écriture encore classiquement romantique (désormais surannée) donne néanmoins une intensité en laissant sourdre une germination faite d’insistance et de délicatesse. Les formes ne s’envolent pas. L’auteure les contrôle. Mais cette dynamique féminine n’était pas du goût des adeptes de l’Empire. Jugée anticatholique, anglophile, révolutionnaire elle doit quitter Paris, part pour l’Allemagne, découvre l’appel de l’Italie. Elle y publie en 1807 son second roman Corinne ou l’Italie qui annonce les grandes sagas des romancières anglaises de la fin du XIXème siècle. Amoureuse folle d’un Écossais mélancolique assujetti aux lois patriarcales, l’héroïne lui sacrifie ses talents littéraires. D’aucuns ont cru trouver dans ce roman un autoportrait de l’auteure. Voire…. Benjamin Constant ne s’y trompa pas lui qui la définissait ainsi : «un esprit d’homme, avec le désir d’être aimée comme une femme».
Désormais, l’oeuvre résiste plus par les essais que les romans. Les premiers parlent encore à notre époque car ils vont de l’avant et affronte des idéologies qui, sous les écumes des époques, semblent intemporelles. Mme de Staël reste à ce titre une femme passionnée qui posa des questions là où il n’y a toujours pas de réponses.
jean-paul gavard-perret
Madame de Staël, Œuvres, Édition de Catriona Seth avec la collaboration de Valérie Cossy, Bibliothèque de la Pléiade, n° 621, Gallimard, Paris, 2017, 1728 p.