Clémentine Belhomme crée des portraits ensemencés d’adjuvants poétiques non pour les enjoliver mais afin de les parachever sans pour autant les réduire à des significations symboliques. Le corps devient un objet sensuel érigé, fier et droit. Sa nature changeante oscille entre l’ordre et le chaos. La question fondamentale reste : « Quelle est la vie que je désire vivre ? ». Car la nécessité de créer fait choisir la vie, et plus spécifiquement, la vie que la créatrice veut vivre et ce, en écho à ce que Gilles Deleuze écrivit : « Il faut qu’il y ait une nécessité (…) sinon il n’y a rien du tout. Un créateur ne fait que ce dont il a absolument besoin. »
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le plaisir de retrouver les gens que j’aime.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils m’accompagnent tous les jours, à vrai dire, je ne suis pas sûre d’arriver un jour à me considérer comme une adulte.
A quoi avez-vous renoncé ?
La vie d’artiste vous oblige tout de même à renoncer à une forme de stabilité financière et matérielle.
D’où venez-vous ?
Je suis née en Normandie, j’ai vécu une partie de mon enfance et mon adolescence dans la Drôme, en pleine nature.
Qu’avez-vous reçu en « héritage » ?
Une sorte de vivacité et de créativité, mes parents sont également artistes, ils m’ont transmis l’envie de créer et cet amour de l’art.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Ma pratique artistique m’accompagne depuis toujours sous différentes formes, elle fait partie de moi. Je dirais plutôt que les aléas de la vie quotidienne m’ont parfois empêchée de m’investir pleinement dans mes projets artistiques.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Dévorer un livre sur une plage déserte et ensoleillée, aller au cinéma.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Il est très difficile pour moi de répondre à cette question. Sauvegarder mon intégrité est ce qui compte le plus.
Comment définiriez-vous votre approche du « portrait » ?
Disons que j’essaye de rendre visible une réalité psychique.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpella ?
“Le Cauchemar” du peintre Johan Heinrich Füssli.
Et votre première lecture ?
“Les métamorphoses” d’Ovide.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Du classique au rock, mes goûts musicaux sont très variés, je suis très mélomane, la musique m’accompagne énormément et me ressource beaucoup. J’ai tout de même une préférence pour les musiciennes comme : Pj Harvey, Nina Simone, Billie Holiday, China Forbes… Je me laisse également totalement bercer par la voix de Thom York, “Ok computer” est l’album que j’ai sûrement le plus écouté dans mon adolescence.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Reflets dans un oeil d’homme” de Nancy Huston et “Mirror Images, Women, Surrealism, and Self-Representation” de Whitney Chadwick.
Quel film vous fait pleurer ?
“Tree of life” de Terrence Malik.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
J’essaye tant bien que mal de faire abstraction de la personne que je suis qui n’est jamais à la hauteur de mes exigences. Avec le temps, j’espère pouvoir m’apaiser…
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Sarah Moon, que j’admire beaucoup.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Buenos Aires.
Quels sont les écrivains et artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Le surréalisme est l’un des mouvements de l’histoire de l’art qui m’a le plus marquée et qui m’inspire toujours aujourd’hui. Il me touche dans sa façon de prôner une forme de liberté totale dans la création, et dans les thèmes qu’il explore comme : l’inconscient, l’inquiétante étrangeté, la réification de l’humain, l’érotisme voilé, la transfiguration de l’imaginaire et du rêve, etc..
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un voyage, parcourir le monde sans billet de retour.
Que défendez-vous ?
Il me semble que l’artiste se doit d’être un passeur, d’une certaine façon il propose au regardeur sa vision du monde à travers sa vérité, sa subjectivité. Il n’impose rien, il dévoile, transcende, transfigure. Il énerve aussi parfois, dégoûte, amuse, émeut. L’art est un vecteur d’émotions. Par sa dimension cathartique, il permet aussi d’extérioriser des choses enfouies qui parfois ne peuvent se verbaliser. Je me sens souvent révoltée par la violence du monde dans lequel nous vivons et la création me permet de transcender la colère, l’injustice, le sentiment d’impuissance, et la peur que j’éprouve. Le monde a besoin aujourd’hui plus que jamais d’artistes sensibles et engagés pour continuer à réfléchir et à remettre en question le monde qui nous entoure. L’art n’a pas de frontière, il doit voyager, être partout, réunir les gens et offrir des alternatives.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Aimer serait alors donner quelque chose qu’on ne détient pas ? Ce n’est évidemment pas un bien matériel, sans doute une chose qui est hors de nous. L’amour vrai se distingue d’une intention intéressée, il faut, me semble-t-il, en finir également avec l’idée que l’autre est celui qui va nous révéler à nous-même. L’ amour doit s’apparenter à la liberté.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Il insinue qu’il faudrait toujours répondre oui sans en connaître la question ? Le vrai challenge pour moi aujourd’hui est justement d’apprendre à dire non.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Avez vous une photographe de prédilection? Oui, Francesca Woodman.
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 22 avril 2017.