Je m’emballe évite tout effet de précipitation mais non de recouvrement. Et de découverte tout autant. Il s’agit à la fois d’un projet esthétique particulier que ne renierait pas Christo et d’un prétexte à des rencontres choisies. L’artiste multimédia a précisé sa démarche : « Nue, munie d’un rouleau de cellophane transparent je m’emballe comme si j’enfilais une combinaison. Je la retire au bout de trois minute, j’obtiens la forme de mon corps que je retravaille suivant la pose souhaitée ». Ensuite écrit-elle « j’ajoute des couches pour obtenir un corps dur et de petite taille ».
Une fois ce travail effectué, l’auteure propose ces corps « personnalisés ». Ils correspondent à des auteurs ou artistes. « Corps Beckett », « Corps Warhol », « Corps Pop » (Iggy Pop), etc. sont offerts à ces émissaires qui leur correspondent et à qui l’artiste propose un rendez-vous. Pour les trois cas cités et respectivement à Olivier Rohe, Cécile Guilbert, Dominique A.
Généreuse, Laurence Skivée se met toujours en état d’ouverture mentale et prête à s’adapter à des situations inconnues pour « vivre la rencontre ». Les corps « inconnus » quoique personnalisés qu’elle offre sont faits dans ce but et pour l’écho qu’ils suscitent chez les intéressés. Libre à eux de prendre ou de laisser. Certains sont ravis voire prévenants (Rohe, Guilbert) envers elle, d’autres plus distants (Christine Angot) voire proches d’une fin de non recevoir (Sophie Calle).
L’artiste prend une photo de sa sculpture avec celle ou celui à qui elle s’adresse. Elle propose aussi un bref journal de la rencontre. Laurence Skivée y fait état de sa démarche et de l’état d’esprit des récepteurs. Mais elle reste pudique : elle ne cherche pas à « faire littérature » avec ce qui s’est passé. Fidèle à Beckett, elle sait comme lui « éviter le laïus ».
L’approche reste des plus parlantes. Si les « corps offerts » existent, ceux qui les ont reçus beaucoup moins. Non par la faute de l’artiste mais parce que ceux qu’elle a choisis ne sont pas forcément réceptifs. Emerge subrepticement une forme d’ostracisme face à celle qui semblerait quasiment les déranger. Il s’agit pour certains d’une manière de se protéger, pour d’autres de traiter de manière bien anecdotique l’artiste belge. Son principal handicap ne serait-il pas à leurs yeux qu’elle ne soit pas suffisamment reconnue pour qu’ils la traitent d’égal à égal ? Le doute est parfois permis…
Cela donne une image crue voire cruelle du paysage littéraire et artistique. Ce n’est pas le but recherché par l’artiste. Elle en reste parfois la victime consentante mais ne fait preuve d’aucune récrimination. Parfois, ayant pu vraiment communiquer elle en demeurera plus que satisfaite. Et déjà le lecteur a envie de connaître la suite puisque l’expérience se poursuit : « ça suit son cours » comme aurait dit Beckett. Attendons.
jean-paul gavard-perret
Laurence Skivée, Je m’emballe, Editions La Lettre Volée, 2017 — 24,00 €.