Maurice Blanchot, Chroniques politiques des années trente (1931–1940)

Sauve qui peut la vie

Le scep­ti­cisme est devenu peu à peu invin­cible chez Blan­chot. Néan­moins et avant la publi­ca­tion de  Tho­mas l’Obscur en 1941, l’auteur a déjà der­rière lui une bonne cen­taine d’articles des­ti­nés entre autres à des publi­ca­tions telles que La Revue Uni­ver­selle,  Le Jour­nal des Débats, Le Rem­part, Aux Écoutes, Com­bat et L’Insurgé. A l’époque chez l’auteur, le doute sans appel n’est pas encore de mise et celui-là se per­met de nom­breuses réfu­ta­tions idéo­lo­giques. Il garde l’ambition, dans ses chro­niques des années trente, d’agir sur le monde et de dénon­cer bien des ruses idéo­lo­giques. Il com­bat les dog­ma­tismes en met­tant en joue des pré­sup­po­sés insa­tis­fai­sants qui pié­tinent des valeurs que Blan­chot veut défendre.
Loin du nihi­lisme « maniaque », il vou­drait en finir avec la «France cor­rom­pue» et affirme, comme pour pré­ci­pi­ter le des­tin des mou­ve­ments «non confor­mistes» de l’époque, que seule la révo­lu­tion est urgente et «néces­saire». Il existe sans doute un aspect un peu « naïf » chez celui qui affirme néan­moins des posi­tions qui n’ont rien de négli­geables puisqu’elles sont tou­jours d’actualité. Blan­chot y fait preuve d’attention éclai­rée sur le monde avant de se rendre compte que la poli­tique résulte chez ceux qui la pra­tiquent d’un mau­vais mais volon­taire usage des mots afin de cacher le réel au nom d’intérêts qui se gonflent d’une pré­ten­tion par­fois sotte et invin­cible. D’autant que dans les revues qui l’accueillent l’auteur com­prend que les res­pon­sables semblent lui lais­ser une cer­taine liberté qui n’est que d’apparence.

Très vite ‚la « tragi-comédie » de la poli­tique, Blan­chot la quit­tera pour des ami­tiés lit­té­raires — Jean Paul­han et Que­neau dans le début des années qua­rante. Et il consi­dère ses textes poli­tiques comme « à fonds perdu et sans attente ». Sans doute, de son vivant, l’auteur n’aurait pas laissé publier ces textes. Entre autres parce qu’il se sen­tait « démis­sion­naire » par rap­port à des écrits dont l’occupation alle­mande signe de facto la fin. Drieu lui demande à l’époque de bien vou­loir conti­nuer à écrire dans la NRF « à condi­tion d’écarter tous textes poli­tiques ». Mais Blan­chot sen­tit le piège. Il lui fit remar­quer que « écri­vain inconnu je ne consti­tue­rais pas une digue suf­fi­sante contre les occu­pants ». Et il voyait qu’une page se tour­nait. Pour la NRF. Pour lui-même. A ses textes poli­tiques allait se sub­sti­tuer la masse d’articles lit­té­raires (réunis dans La condi­tion cri­tique — articles 1945–1998, Gal­li­mard, 2010).
Tou­te­fois, ce cor­pus poli­tique per­met de recon­si­dé­rer un auteur que cer­tains — en pré­ten­dant jouer fin — ont voulu « salir » en le taxant de posi­tions dou­teuses. Mais Blan­chot comme tou­jours y est hon­nête et sans cal­cul. Il ne cherche jamais une posi­tion de pou­voir. Ses écrits déjouent les pré­ven­tions et décon­certent les cal­culs. L’auteur reste avant tout un clair­voyant modeste et résolu. Pourrait-il être accusé d’agir en aveugle là où existe de fait dans son approche un tra­vail épris de liberté et de justice ?

Blan­chot n’était pas homme à entrer dans le jeu des com­bi­nai­sons et des ruses poli­tiques. L’œuvre est à sépa­rer de ceux qui ont fait métier du com­pa­gnon­nage par­ti­san. Son tra­vail reste sin­gu­lier et il séduit plus qu’il déroute sauf ceux bien sûr qui ont besoin de doxas idéo­lo­giques pour pen­ser. Face aux Sartre, il fau­dra tou­jours des « sauve qui peut la vie » à la Blan­chot. Il pré­féra avec Beckett le silence — et comme l’écrit ce der­nier — «aux voix qui parlent se sachant men­son­gères ».

jean-paul gavard-perret

Mau­rice Blan­chot, Chro­niques poli­tiques des années trente (1931–1940), Édi­tion de David Uhri­goll. Les Cahiers de la NRF, Gal­li­mard, Paris, 2017.

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