Un thriller aux frontières du réel
Un homme lutte pour fuir Dipton, une petite ville cernée par la forêt protégée par des buissons de ronces mutantes, particulièrement agressives. Il est parti dans le sillon de Debbie Fevertown qui venait d’assassiner son mari et ses deux fils car elle voyait en eux des “aliens” infiltrés sur Terre. Un an plus tard Debbie, qui avait trouvé refuge dans une secte survivaliste se préparant à surmonter Big One, s’apprête à droguer la tisane que tous les adeptes et le gourou prennent le soir. Elle veut faire brûler le campement et tous ses habitants.
Quinze ans après ces événements, Jillian Caine, une scénariste au creux de la vague après quelques films au succès mitigé, se voit proposer l’écriture du biopic de Debbie. Le réalisateur, Dieter Jürgen, très controversé, ne veut pas d’autres scénaristes. Une légende urbaine propage l’idée selon laquelle Debbie n’est pas morte, qu’elle continue son combat exterminant les extra-terrestres qu’elle peut repérer dans la population. Personne ne connaît son nouveau visage. Son passage dans la secte l’avait fait passer d’une femme obèse, passive, à une athlète au corps affûté et au mental d’acier. Dieter avertit Jillian. Si ce qui est écrit sur elle ne lui convient pas, elle peut très bien l’assassiner.
Muni d’un dossier conséquent, Jill commence à recueillir les témoignages de ceux qui l’ont plus ou moins côtoyée. Après son recruteur, en prison, elle se rend sur les lieux où étaient installés les survivalistes. Elle y rencontre Martha, une vieille femme, qui la met en garde. C’est un mauvais endroit. Rien n’a repoussé, il y a eu trop de morts. Et, quand elle parle de Dipton où rien ne doit entrer, rien ne doit sortir, de ses Geôliers… Pour que son biopic soit le plus réaliste possible, Dieter décide de tourner sur les lieux du crime. Jill n’imagine pas les aventures terrifiantes qu’elle s’apprête à vivre !
Pour sa nouvelle incursion dans le domaine de la science-fiction, Serge Brussolo retient des héroïnes pour personnages principaux. Avec Debbie, il s’attache à générer l’énigme, le danger par ses actes qui semblent sanguinaires et la menace diffuse, imprévisible et omniprésente qu’elle représente. Avec Jillian entraînée, par l’écriture de son scénario sur Debbie, à fouiller dans un passé qui recèle des secrets redoutables, il engendre la victime, celle qui va vivre l’inquiétude, la frayeur. Il concocte autour de ces deux femmes une intrigue qui mêle fantastique, horreur et, bien sûr, cette angoisse qu’il sait faire sourdre à merveille. Selon une technique éprouvée, il positionne ses éléments suscitant inquiétude, peur, angoisse, puis terreur. Il fait appel, pour ce roman, à nombre de créatures mystérieuses, d’entités fabuleuses telles que des extra-terrestres, des protagonistes de la mythologie gréco-romaine… Il construit, autour d’elles, une galerie de personnages riche en “caractères tordus”, des individus aux motivations obscures, aux buts dangereux, aux objectifs bizarres.
On retrouve quelques constances chères à l’auteur telles les mutations physiques tant des humains que de la nature, son attrait pour des héroïnes qui, sous des dehors fragiles, se révèlent être des battantes, son goût pour les survivalistes… les suggestions, les non-dits et l’art de mener un récit avec brio, avec célérité. Les actions s’enchaînent sans répit, multipliant les interrogations, les incertitudes, les suggestions, les non-dits. L’auteur possède une rare maestria pour instiller le doute, pour susciter un double, un triple jeu. Tout devient ambiguïté, précarité, inconstance, tout est sujet à caution, à remettre en cause. Entre folie sectaire, hallucinations collectives, aberrations génétiques et territoires hostiles, Serge Brussolo mène son récit avec brio, avec célérité.
Dans une Amérique dont il retient les points les plus marquants, réinventée pour son décor, l’auteur construit une histoire qui vous emporte dans son univers, vous submerge par l’accumulation de péripéties, de rebondissements.
serge perraud
Serge Brussolo, Les Geôliers, Folio SF n° 566, Inédit, février 2017, 496 p. – 8,20 €.