Raoul Ubac, Rétrospective (exposition)

D’un trou sort une comète

Ubac ne s’est jamais voulu une star. Ce n’est donc pas un hasard – ou un « hasard fixe » comme disait Pica­bia – s’il s’est fait volon­tiers l’ « illus­tra­teur » de nom­breux poètes. Les guille­mets qui encadrent le terme illus­tra­teur sont impor­tants. D’autant qu’il serait bien dif­fi­cile — sinon à pro­vo­quer des non-sens — que de voir en Ubac un « illus­tra­teur ». Pour lui, créer n’est pas une théo­rie mais un acte en néces­saire dérive et concen­tra­tion, entre pul­sion et concep­tion quasi abs­traite même si la puis­sance de sillons ter­restres est tou­jours pré­sente.
Créer tatoue la béance plus qu’il ne la cica­trise. Et toute l’œuvre d’Ubac donne une den­sité à ce vide pour que d’un d’un chaos à l’autre s’inscrive une suite de contre-chants et de contre-champs.

Avec Ubac le des­sin griffe, la pein­ture flotte sur le blanc de neige en de puis­santes traces. L’artiste crée des ravines : adret d’un côté, et for­cé­ment ubac de l’autre…  tels deux parois des gouffres de l’existence. Chez cet artiste, il n’existe pas de rup­ture entre le men­tal et le geste. Il crée des béances plus que des chocs. Il ouvre des lèvres qui sont plus celles de la plaie que du plai­sir même si celui-ci fait retour par la sen­so­ria­lité de la trace. Balafre et/ou bour­sou­flures, rides, stries, roton­di­tés :  tout est de l’ordre à la fois de l’ouverture et de la fer­me­ture. De l’ordre aussi de la tache ou de la cendre.
Chez Ubac le monde trouve d’autres cou­leurs dans des jeux de « repons ». Formes et colo­ris fon­cés (bleu sombre, mar­ron) percent la nuit, la fendent :

« pour la énième fois
on repasse la séquence
pour voir l’erreur
la cause
ça a
eu lieu
parce que
parce que
parce que
rien
on ne voit pas »(Antoine Emaz)
avant que Ubac ne montre.

L’œuvre rap­pelle selon son propre mou­ve­ment une situa­tion d’existence. Elle se pose sans repo­ser. Elle fait tache juste pour signa­ler et non pour juger. Elle dépeuple à son tour plus qu’elle ne comble des vides. Elle devient une sorte d’apaisement sans doute mais aussi un creu­se­ment. D’où cet effet de béance et de clô­ture, de recou­vre­ment et de dénue­ment.
Tout cela est puis­sant, inci­sif, abrupt entre rete­nue et abandon.

jean-paul gavard-perret

Raoul Ubac, Rétros­pec­tive, gale­rie Maeght, Paris, du 9 mars au 15 avril 2017.

Leave a Comment

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>