Ubac ne s’est jamais voulu une star. Ce n’est donc pas un hasard – ou un « hasard fixe » comme disait Picabia – s’il s’est fait volontiers l’ « illustrateur » de nombreux poètes. Les guillemets qui encadrent le terme illustrateur sont importants. D’autant qu’il serait bien difficile — sinon à provoquer des non-sens — que de voir en Ubac un « illustrateur ». Pour lui, créer n’est pas une théorie mais un acte en nécessaire dérive et concentration, entre pulsion et conception quasi abstraite même si la puissance de sillons terrestres est toujours présente.
Créer tatoue la béance plus qu’il ne la cicatrise. Et toute l’œuvre d’Ubac donne une densité à ce vide pour que d’un d’un chaos à l’autre s’inscrive une suite de contre-chants et de contre-champs.
Avec Ubac le dessin griffe, la peinture flotte sur le blanc de neige en de puissantes traces. L’artiste crée des ravines : adret d’un côté, et forcément ubac de l’autre… tels deux parois des gouffres de l’existence. Chez cet artiste, il n’existe pas de rupture entre le mental et le geste. Il crée des béances plus que des chocs. Il ouvre des lèvres qui sont plus celles de la plaie que du plaisir même si celui-ci fait retour par la sensorialité de la trace. Balafre et/ou boursouflures, rides, stries, rotondités : tout est de l’ordre à la fois de l’ouverture et de la fermeture. De l’ordre aussi de la tache ou de la cendre.
Chez Ubac le monde trouve d’autres couleurs dans des jeux de « repons ». Formes et coloris foncés (bleu sombre, marron) percent la nuit, la fendent :
« pour la énième fois
on repasse la séquence
pour voir l’erreur
la cause
ça a
eu lieu
parce que
parce que
parce que
rien
on ne voit pas »(Antoine Emaz)
avant que Ubac ne montre.
L’œuvre rappelle selon son propre mouvement une situation d’existence. Elle se pose sans reposer. Elle fait tache juste pour signaler et non pour juger. Elle dépeuple à son tour plus qu’elle ne comble des vides. Elle devient une sorte d’apaisement sans doute mais aussi un creusement. D’où cet effet de béance et de clôture, de recouvrement et de dénuement.
Tout cela est puissant, incisif, abrupt entre retenue et abandon.
jean-paul gavard-perret
Raoul Ubac, Rétrospective, galerie Maeght, Paris, du 9 mars au 15 avril 2017.