Juan Francisco Ferré propose une lecture radicale de Bruits de fond de Don DeLillo. L’auteur américain avait tenté d’intituler son livre par le titre qu’a choisi le critique. Mais finalement il y renonça. Peut-être pour des raisons marketing imposées par un éditeur suffisamment effrayé par une fiction qui montrait la mort comme — écrit Ferré — « le secret obscène du capitalisme ».
DeLillo annonçait en effet la puissance mortifère de la société de consommation, du marché libéral et des technologies de contrôle Tout cela crée le « bruit de fond » d’une fiction qui devient un manifeste électrique. Il pousse plus loin les visions d’un Pynchon ou d’un Philip K Dick.
Jaillit une conspiration implicite contre la vie. Une conspiration générale fabriquée pour et par des causes politiques, amoureuses, narratrices, terroristes et même des jeux d’enfants. Le nouveau contrat social s’inscrit sous une alliance entre conspirateurs et victimes. Le roman de DeLillo est donc celui d’une décérébration, d’une infantilisation gigantesque de la société - elle peut conduire à des extrémités : un Trump peut devenir un des maîtres du monde.
Ce roman est celui d’une anticipation dans laquelle l’espace privé voire l’espace cérébral de chaque individu est pris au piège d’une chimie qui le dépasse. L’auteur rappelle au passage qu’Harold Bloom avait nommé non sans raison cette fiction “l’autre comique apocalypse américaine”. Exit la pastorale de la même adjectivation cher à Roth. Les diverses ondes qui transportent les informations deviennent la toile d’araignée invisible et géante annonciatrice de la prophétie du chaos postmoderne.
Le flux des messages rend le réel caduque là où les agencements technologique font de chaque être un mort vivant.
jean-paul gavard-perret
Juan Francisco Ferré, Le livre américains des morts (vivants), Editions Le Feu sacré, coll. Les feux Follets, Lyon, 2017, 732 p. — 7,50 €.