Marie-Luce Ruffieux, Les Jurons

L’envie de sens et sa dissipation

Il arrive que le roman rejoigne les images en mou­ve­ment même (ou sur­tout) lorsque leur fil­mage tourne au fiasco. Ici, une assis­tante de pla­teau plus ou moins dés­œu­vrée donne vie aux choses qui se prêtent à son jeu. Mais bien vite ses créa­tions lui échappent et le désastre est proche. Pour concoc­ter cet échec ciné­ma­to­gra­phique, l’auteure a com­pilé au fil des ans des cita­tions lues, enten­dues ou vues sur le Net. En une sorte de cut-up, elle a monté son texte comme se monte un film. Ce qui per­met des assem­blages intem­pes­tifs où par exemple « la graisse enfouit les fesses et tout le monde rate les bai­sers ».
La fécon­dité roma­nesque tient à ce jeu intel­li­gent et éro­tique où tout s’agence de manière kaléi­do­sco­pique et éton­nante. La nar­ra­trice elle-même est prise dans ce dédale, cet abîme. Il n’est plus pos­sible de l’arrêter. A l’écran du film impos­sible se super­pose celui du roman. Son lan­gage tra­vaille les images, nous fait pas­ser dedans ou des­sous. La « réa­lité » ne tient que par lui. La per­for­meuse fabrique ainsi une œuvre in pro­gress dont Les Jurons est un des états pro­vi­soi­re­ment défi­ni­tifs. La ques­tion de dis­po­si­tif, d’agencement est impor­tante en tant que machine à pro­duire des flux de paroles par le bran­che­ment d’une masse dis­pa­rate. Elle méta­mor­phose la rumeur en désir ou en inquiétude.

La Lau­san­noise reste l’usurière d’un col­lec­tif ver­bal qui change l’académisme ver­moulu du roman. Pour autant, dans ce col­lage la signa­ture de l’auteure garde toute sa valeur : tout passe par celle qui en assume une « loi ». Celle-ci tra­vaille la fic­tion d’une manière nou­velle. L’hybride per­met une sotie aussi hir­sute qu’unifiée.

jean-paul gavard-perret

Marie-Luce Ruf­fieux, Les Jurons, Le Tri­pode, 2017, 120 p. — 20,00  €.

Leave a Comment

Filed under Romans

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>