Harvey Sachs, Réflexion sur Toscanini, Musique et politique

Viva Verdi !

En 1946, Tos­ca­nini, à l’annonce du réfé­ren­dum pour abo­lir la monar­chie de la famille de Savoie en Ita­lie, rentre dans son pays et donne un concert pour la réou­ver­ture de La Scala. L’artiste y imposa ses condi­tions : réin­té­gra­tion des musi­ciens juifs et des employés de l’institution ren­voyés pour leur oppo­si­tion au fas­cisme. Il est salué par trente-sept minutes d’applaudissements avant que l’orchestre offre au maes­tro un médaillon en or : “Au Maes­tro qui ne fut jamais absent — son orchestre». De quoi effa­cer l’époque de 1931 où il fut giflé par des fas­cistes parce qu’il refusa de jouer l’hymne offi­ciel et où il décida de quit­ter son pays.
Spé­cia­liste du chef d’orchestre, Har­vey Sachs remonte sa vie, sa car­rière, son enga­ge­ment. A l’homme à femmes est pri­vi­lé­gié ici celui de com­bat qui s’oppose à Mus­so­lini et à Hit­ler, et l’esthète en quête de per­fec­tion musi­cale. Se retrouve la pas­sion du chef pour Wag­ner et Bee­tho­ven. Pour Verdi bien sûr : autant pour ses posi­tions poli­tiques que musi­cales. Son nom fut le slo­gan crypté des Gari­bal­diens. Sous l’inscription « Viva VERDI » se cachait : « Viva Vii­to­rio Emma­nuel Re D’Italia ». Mais Sachs rap­pelle aussi le rap­port plus dis­tant (euphé­misme) avec Puc­cini. Le maître lui envoie un Panet­tone. Puc­cini lui retourne avec un télé­gramme: «Panet­tone envoyé par erreur ». Ce qui lui vaut la réponse du maître : « Panet­tone mangé par erreur ».

Au-delà des anec­dotes,  Tos­ca­nini appa­raît animé de la haine contre toute la coa­li­tion obs­cu­ran­tiste, clé­ri­cale, maf­fieuse grou­pée autour de l’ambassade ita­lienne aux USA qui exploite la naï­veté d’une majo­rité d’immigrés. Les diplo­mates ne se privent pas d’accuser Tos­ca­nini d’avoir aban­donné l’Italie. En retour, il dénonce leurs manœuvres tout comme les com­pro­mis­sions des com­mu­nistes ita­liens qui appor­tèrent leur accord au traité passé entre le fas­cisme et le Vati­can.
En dépit de ses fameuses colères, Tos­ca­nini est tout sauf un doc­tri­naire. Cer­tains regrettent même qu’il n’ait pas laissé une méthode. Mais sa pas­sion de la liberté en musique comme en poli­tique ne pou­vait s’asphyxier dans une jugu­laire. Patriote maz­zi­nien d’un pays qui n’existait que depuis peu (1860), il put un temps esti­mer trou­ver de manière éphé­mère dans le futur dic­ta­teur le plus sûr garant d’un pays à l’identité encore fragile.

Mais Tos­ca­nini reste un révolté, un insou­mis. Sous son aspect aris­to­crate, le gamin de Parme issu d’une famille gari­bal­dienne demeure l’enfant des bar­rières : à savoir du fau­bourg d’Oltretorrente, par­tie chaude de Parme où selon l’artiste « la police n’avait pas le cou­rage d‘entrer, au temps de Gari­baldi ». Cela situe la posi­tion sociale de l’artiste. Sans confondre la musique et poli­tique, Tos­ca­nini demeura néan­moins un artiste engagé imbibé de ses racines. Elles firent de lui un homme dont l’engagement ne fut inféodé à aucun clan sinon celui de la per­fec­tion musicale.

jean-paul gavard-perret

Har­vey Sachs, Réflexion sur Tos­ca­nini, Musique et poli­tique, Tra­duit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Sylvie Homas­sel avec Laura Bri­gnon et Eli­sa­beth Willenz, Notes de nuit, Paris, 2016, 238 p. — 22,00 €.

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