François Morellet et ses amis (exposition)

Napo­néon

Le tra­vail de Morel­let est tou­jours resté entre deux âges. Mais — et comme les femmes qua­li­fiées de la sorte — tou­jours plus proche du second que du pre­mier. C’est pour­quoi il faut saluer la conser­va­trice en chef du Musée de Cham­béry. Elle a su tirer la sub­stan­ti­fique moelle d’une œuvre qui en a peu. Ayant prévu le coup, l’esthète avi­sée qui pré­side à l’institution savoyarde sauve l’exposition à tra­vers les œuvres de la col­lec­tion de l’artiste : Ells­worth Kelly, Ber­nar Venet, Vic­tor Vasa­rely, Sol LeWitt, Piero Man­zoni, Ber­trand Lavier, etc. Ces œuvres ne font que mettre en évi­dence la carence de celle du col­lec­tion­neur.
Pas­sant de la figu­ra­tion à l’abstraction géo­mé­trique, Morel­let est tombé très vite dans un art sys­té­mique où chaque choix est défini par un prin­cipe éta­bli par avance. Il pense créer une œuvre qui se veut impré­vi­sible par l’utilisation de formes simples, un petit nombre de cou­leurs qui jouent de la jux­ta­po­si­tion, de la super­po­si­tion, des inter­fé­rences à tra­vers divers types de trames mathé­ma­tiques ou hasar­deuses selon des pro­ces­sus méca­nistes. Mais c’est là une « vue » de l’esprit qui prouve que le concep­tuel radi­cal ne peut ser­vir qu’à un décorum.

Créateur du GRAV (Groupe de Recherche d’Art Visuel –1960–1968), Morel­let s’insère dans les mou­vances mini­ma­liste et ciné­tiques. Il joue ensuite du néon : celui-ci devient sa marque de fabrique. Mais ceci prouve com­bien la lumière n’est pas for­cé­ment un éclai­rage. Paral­lè­le­ment, il joue de divers types de caviar­dages (bandes adhé­sives noires sur dif­fé­rents lieux et sup­ports pour paro­dier un cer­tain nombre de mou­ve­ments artis­tiques) et de tra­ves­tis­se­ments de sur­faces, car­rés et angles droits selon des don­nées for­tuites et des contraintes (chiffres aléa­toires qui défi­nissent en fonc­tion du sys­tème la posi­tion des élé­ments, leur cou­leur, leur maté­riau) selon un esprit Oulipo trans­vasé du côté des images.
Tout cela pré­tend à un néo-déconstructivisme par effet de plan et de lignes. Et avant, il y aurait là appa­rem­ment un « objec­ti­visme » plus ou moins fabri­qué. De fait s’y cache une nature plus pro­fonde : un impres­sion­nisme et une recherche du beau que l’artiste feint de refu­ser pour demeu­rer dans l’esprit de son temps. Une telle approche ne pou­vait que séduire puisque c’est là ratis­ser large et reprendre tous les pon­cifs pour les détour­ner mais dans un seul souci décoratif.

Lignes et courbes lumi­neuses pour­suivent ce jeu (entre autres avec les « gro­tesques »). Le néo-minimalisme y bat la cam­pagne. Sous pré­texte de désordre, tout reste aca­dé­mique et propre. Ne remet­tant rien en cause mais flat­tant un cer­tain céré­mo­nial estimé radi­cal, le peintre est devenu un must choyé par les ins­ti­tu­tions politico-artistiques. Ils trou­vèrent là à prendre et à lécher. Et aussi des redites qui rendent l’art ras­su­rant. Preuve que si l’art au néon n’est pas for­cé­ment lumière, il fait de l’artiste un « Naponéon ».

jean-paul gavard-perret

Fran­çois Morel­let et ses amis, Musée des beaux arts de Cham­béry, 3 décembre 2016 — 19 mars 2017.

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