Le travail de Morellet est toujours resté entre deux âges. Mais — et comme les femmes qualifiées de la sorte — toujours plus proche du second que du premier. C’est pourquoi il faut saluer la conservatrice en chef du Musée de Chambéry. Elle a su tirer la substantifique moelle d’une œuvre qui en a peu. Ayant prévu le coup, l’esthète avisée qui préside à l’institution savoyarde sauve l’exposition à travers les œuvres de la collection de l’artiste : Ellsworth Kelly, Bernar Venet, Victor Vasarely, Sol LeWitt, Piero Manzoni, Bertrand Lavier, etc. Ces œuvres ne font que mettre en évidence la carence de celle du collectionneur.
Passant de la figuration à l’abstraction géométrique, Morellet est tombé très vite dans un art systémique où chaque choix est défini par un principe établi par avance. Il pense créer une œuvre qui se veut imprévisible par l’utilisation de formes simples, un petit nombre de couleurs qui jouent de la juxtaposition, de la superposition, des interférences à travers divers types de trames mathématiques ou hasardeuses selon des processus mécanistes. Mais c’est là une « vue » de l’esprit qui prouve que le conceptuel radical ne peut servir qu’à un décorum.
Créateur du GRAV (Groupe de Recherche d’Art Visuel –1960–1968), Morellet s’insère dans les mouvances minimaliste et cinétiques. Il joue ensuite du néon : celui-ci devient sa marque de fabrique. Mais ceci prouve combien la lumière n’est pas forcément un éclairage. Parallèlement, il joue de divers types de caviardages (bandes adhésives noires sur différents lieux et supports pour parodier un certain nombre de mouvements artistiques) et de travestissements de surfaces, carrés et angles droits selon des données fortuites et des contraintes (chiffres aléatoires qui définissent en fonction du système la position des éléments, leur couleur, leur matériau) selon un esprit Oulipo transvasé du côté des images.
Tout cela prétend à un néo-déconstructivisme par effet de plan et de lignes. Et avant, il y aurait là apparemment un « objectivisme » plus ou moins fabriqué. De fait s’y cache une nature plus profonde : un impressionnisme et une recherche du beau que l’artiste feint de refuser pour demeurer dans l’esprit de son temps. Une telle approche ne pouvait que séduire puisque c’est là ratisser large et reprendre tous les poncifs pour les détourner mais dans un seul souci décoratif.
Lignes et courbes lumineuses poursuivent ce jeu (entre autres avec les « grotesques »). Le néo-minimalisme y bat la campagne. Sous prétexte de désordre, tout reste académique et propre. Ne remettant rien en cause mais flattant un certain cérémonial estimé radical, le peintre est devenu un must choyé par les institutions politico-artistiques. Ils trouvèrent là à prendre et à lécher. Et aussi des redites qui rendent l’art rassurant. Preuve que si l’art au néon n’est pas forcément lumière, il fait de l’artiste un « Naponéon ».
jean-paul gavard-perret
François Morellet et ses amis, Musée des beaux arts de Chambéry, 3 décembre 2016 — 19 mars 2017.