Alix Delmas entre la nuit et le jour : entretien avec l’artiste

Chez Alix Del­mas chaque être semble vivre au hasard comme éloi­gné de toutes réfé­rences connues en tenant comme il peut au cœur d’une huma­nité en perte de vitesse. L’artiste évoque moins une forme que l’appartenance à un règne impro­bable et lui aussi en déli­ques­cence. Les oeuvres parlent de la fra­gi­lité de l’être humain — même si rien n’en est mon­tré ouver­te­ment dans des images qui témoignent de la maî­trise d’un pro­ces­sus révé­la­teur de « jeux ».
Par­fois, une nar­ra­tion « ciné­ma­to­gra­phique » imite l’expression d’une vérité admise sur la dis­tri­bu­tion des bai­sers, par­fois des sculp­tures pri­mi­tives en plâtre blanc semblent appe­ler à la dis­pa­ri­tion des corps. Si bien que les œuvres deviennent des miroirs gros­sis­sants et impi­toyables. Mais si la joie semble absente, la détresse ne commencerait-elle pas à ne plus connaître de vacance ? Pour le sug­gé­rer, l’artiste ne passe pas par l’allégorie. Sa traque du réel suf­fit. La ful­gu­ra­tion de son tra­vail tient à la puis­sance de sai­sir l’éphémère por­teur de l’histoire la plus pro­fonde et de poser les pro­blèmes fon­da­men­taux du « voir » de l’image et de nature de la réa­lité qu’elle propose.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le matin.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Ils m’accompagnent. J’ai plu­tôt rêvé à des états, des sen­sa­tions. Je n’ai pas le sou­ve­nir d’avoir fait des rêves à réa­li­ser à pro­pre­ment parler.

A quoi avez-vous renoncé ?
A un salaire.

D’où venez-vous ?
De pleins d’endroits dif­fé­rents qui me consti­tuent. Une enfance au Séné­gal. Une ado­les­cente au Pays Basque. Des études à Paris. Une mai­son rue Mar­cel Duchamp. Du hors-temps dans le Can­tal. Des explo­ra­tions dans des Ailleurs.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
La col­lec­tion de livres d’art de mon père. Il est tombé para­lysé à mes 3 ans, il a su lais­ser à sa manière le moyen de m’offrir des pro­me­nades à tra­vers les beaux-arts et l’histoire des civilisations.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
En ce moment : quelques exer­cice de Jo (une des dis­ci­pline de l’Aïkido qui se pra­tique avec un bâton et une ligne ima­gi­naire). Boire un jus de fruits frais.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
C’est ter­rible cette ques­tion. Elle me for­ce­rait à séduire, et aussi à être en dehors de moi. Disons pour esqui­ver, je n’aime pas les com­pa­rai­sons, les clans, les cha­pelles. A contra­rio, je dis­tingue chez les artistes ce qu’ils peuvent m’apprendre pour aller plus loin (et c’est peut-être la seule chose com­mune à tous les artistes).

Com­ment définiriez-vous votre approche de la pho­to­gra­phie ?
Mon approche est d’intervenir dans le réel. Je pho­to­gra­phie en agis­sant sur quelque chose (un espace habité, un pay­sage ou un corps) avec des lumières, des acces­soires, des gestes, des expériences …

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Des images déca­lées dans mon enfance. Le sol de la lune à la télé­vi­sion. Une pho­to­gra­phie d’un masque nègre qui trô­nait dans le salon. Une enlu­mi­nure d’une scène de déca­pi­ta­tion : sur­tout, com­ment était des­siné le jet de la tête posée au sol et le cou resté sur le buste agenouillé.

Et votre pre­mière lec­ture ?
« La case de l’oncle Tom ».

Quelles musiques écoutez-vous ?
Je viens de la musique under­ground (Lou reed, Tal­king head, Soul Cou­ghing, …) et de la funky music et la musique baroque, j’écoute un peu la suite de tout ça et par­fois la mienne.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je n’aime pas trop relire. Je pré­fère lire de nou­veaux livres. Les livres que j’ai lus deux ou trois fois sont « Devant la dou­leur des autres » de Susan Son­tag et « Les Son­nets » de Shakespeare.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Je ne m’en sou­viens pas.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Quelqu’un que je connais mais pas tout à fait.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A un éditeur.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La forêt d’Olivier vu de Delphes

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Je me sens proche d’un peu d’un(e) Manet, Claude Cahun, Bruce Nau­man, Eva Ess, Franck West, Louise Bour­geois, Sha­kes­peare, Bataille, Barthes, Bache­lard, Pes­soa, et plus près de notre époque B.-M. Kol­tès, Falk Rich­ter, Michel Fran­çois, Lili Rey­naud Dewar …

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un feu de cheminée

Que défendez-vous ?
L’énergie, la jus­tice, les expé­riences artistiques

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je l’imagine le disant en ouvrant les rideaux rouges qui cachaient “L’origine du monde”.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Je pré­fère la réponse de John Cage qui pré­sente 10 réponses for­mu­lées d’avance pour 10 ques­tions qu’il ne connaît pas encore.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Où vais-je ? Je ne le sais pas encore mais je connais la direction.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 30 octobre 2016.

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