Philippe Sollers, Complots — Rentrée 2016.

Folie du sage

Sollers n’est plus à la mode. Qu’importe ! Il garde le sens du titre et de la pro­vo­ca­tion : Com­plots le prouve. Le mot est « chaud » et pousse à divers types d’interprétations. Elles font flo­rès depuis les évé­ne­ments new-yorkais du 11 sep­tembre. Sol­lers « assai­nit » ce terme. S’estimant en « état d’urgence », il revi­site à l’aune du pré­sent des pans du passé afin de don­ner à lire des « com­plots » bien dif­fé­rents : ceux du lit­té­raire et de sa légi­time pré­sence vec­teurs de liberté et de beauté. Les com­plo­teurs de Sol­lers ouvrent donc le monde loin des dif­fé­rents com­mu­nau­ta­rismes.
Le contre-courant de l’auteur est à l’opposé du décli­nisme et du popu­lisme. Sol­lers sera peut-être jugé sur­anné pour sa croyance en la lit­té­ra­ture. Mais cela change des plai­san­te­ries à la Michel Onfray et autres arro­gants média­tiques (dont Sol­lers fit par­tie naguère). Sa plon­gée dans l’hier n’a rien de nos­tal­gique. Sur­gissent des axes de lec­tures rare­ment sou­li­gnés. Tels des fan­tômes, ils sortent para­doxa­le­ment des murs du pré­sent pour chas­ser le délé­tère, la peur et déga­ger des sophismes ambiants.

A mesure qu’elle se détache de son époque, la grande lit­té­ra­ture s’autonomise et per­met de com­prendre non ce qui fut mais ce qui est. Elle éclaire des zones d’ombres, exprime des obses­sions d’où peuvent jaillir des solu­tions. Bref, elle a l’immense mérite d’« illi­mi­ter » le pré­sent. Sha­kes­peare, Sade tout comme Madame de Lafayette  (dont le roman “a des charmes assez forts pour se faire sen­tir à des mathé­ma­ti­ciens mêmes, qui sont peut-être les gens du monde sur les­quels ces sortes de beau­tés trop fines et trop déli­cates font le moins d’effet”) et Lamar­tine ont créé des langues nou­velles qui innervent le temps au nom de trans­gres­sion — à ne pas confondre avec la basique per­ver­sion.
Moins que jamais, Sol­lers ne pourra être consi­déré comme fri­vole et secon­daire — ce qu’il ne fut jamais. Cela n’alla pas tou­jours de soi. On se sou­vient de l’épisode maoïste de Tel Quel. Mais il y eut aussi  Para­dis qui refusa aux hommes le sta­tut de spec­ta­teurs pas­sifs des remugles média­tiques d’un monde scénarisé.

Culti­vant tou­jours sa bonne folie du sage, Sol­lers apprend à en modu­ler ses dérives. Moins pour les condam­ner que pour les jus­ti­fier. Par le tra­vail intel­lec­tuel, il ramène au char­nel et à son sur­plomb réflexif afin d’ébranler ce qui est com­mu­né­ment perçu selon les pro­cé­dés “théâ­traux” du monde numé­rique.  En ce nou­vel uni­vers existent une mise en scène et un décor mais tout texte digne de ce nom reste absent.
En résumé, un seul slo­gan : Sha­kes­peare et Molière tou­jours vivants !

jean-paul gavard-perret

Phi­lippe Sol­lers, Com­plots, Gal­li­mard, Paris, 2016, 140 p. — 19,00 €.

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