Sollers n’est plus à la mode. Qu’importe ! Il garde le sens du titre et de la provocation : Complots le prouve. Le mot est « chaud » et pousse à divers types d’interprétations. Elles font florès depuis les événements new-yorkais du 11 septembre. Sollers « assainit » ce terme. S’estimant en « état d’urgence », il revisite à l’aune du présent des pans du passé afin de donner à lire des « complots » bien différents : ceux du littéraire et de sa légitime présence vecteurs de liberté et de beauté. Les comploteurs de Sollers ouvrent donc le monde loin des différents communautarismes.
Le contre-courant de l’auteur est à l’opposé du déclinisme et du populisme. Sollers sera peut-être jugé suranné pour sa croyance en la littérature. Mais cela change des plaisanteries à la Michel Onfray et autres arrogants médiatiques (dont Sollers fit partie naguère). Sa plongée dans l’hier n’a rien de nostalgique. Surgissent des axes de lectures rarement soulignés. Tels des fantômes, ils sortent paradoxalement des murs du présent pour chasser le délétère, la peur et dégager des sophismes ambiants.
A mesure qu’elle se détache de son époque, la grande littérature s’autonomise et permet de comprendre non ce qui fut mais ce qui est. Elle éclaire des zones d’ombres, exprime des obsessions d’où peuvent jaillir des solutions. Bref, elle a l’immense mérite d’« illimiter » le présent. Shakespeare, Sade tout comme Madame de Lafayette (dont le roman “a des charmes assez forts pour se faire sentir à des mathématiciens mêmes, qui sont peut-être les gens du monde sur lesquels ces sortes de beautés trop fines et trop délicates font le moins d’effet”) et Lamartine ont créé des langues nouvelles qui innervent le temps au nom de transgression — à ne pas confondre avec la basique perversion.
Moins que jamais, Sollers ne pourra être considéré comme frivole et secondaire — ce qu’il ne fut jamais. Cela n’alla pas toujours de soi. On se souvient de l’épisode maoïste de Tel Quel. Mais il y eut aussi Paradis qui refusa aux hommes le statut de spectateurs passifs des remugles médiatiques d’un monde scénarisé.
Cultivant toujours sa bonne folie du sage, Sollers apprend à en moduler ses dérives. Moins pour les condamner que pour les justifier. Par le travail intellectuel, il ramène au charnel et à son surplomb réflexif afin d’ébranler ce qui est communément perçu selon les procédés “théâtraux” du monde numérique. En ce nouvel univers existent une mise en scène et un décor mais tout texte digne de ce nom reste absent.
En résumé, un seul slogan : Shakespeare et Molière toujours vivants !
jean-paul gavard-perret
Philippe Sollers, Complots, Gallimard, Paris, 2016, 140 p. — 19,00 €.