L’histoire – et les historiens avec elle – n’est pas tendre pour les perdants. Oublié, méprisé, rabaissé, condamné par un destin inéluctable à échouer. C’est le cas de Chiang Kaï-Shek, le grand rival de Mao comme l’appelle avec justesse son biographe Alain Roux, grand spécialiste de l’Asie. Que sait-on au juste de cet homme ? En vérité, pas grand-chose. C’est la raison pour laquelle on lira avec grand intérêt cette biographie dense et documentée, parfois un peu ardue, mais en fin de compte passionnante. Certes, le personnage n’a rien de sympathique, et l’auteur ne sombre pas dans le travers de l’empathie. Pour autant, avec un grand sens de l’équilibre, il nous permet de le saisir au mieux.
On ne comprend rien à Chiang Kaï-Shek si on le sort de l’histoire bimillénaire de la Chine et du contexte dramatique de la première moitié du XXe siècle. Son action devient illisible si on ne prend pas en compte la blessure que la décadence chinoise, l’arrivée des Occidentaux et leur domination sur l’empire du milieu infligèrent à un peuple fier de son histoire, fort de son prestige, enivré de sa grandeur. Restaurer la puissance de la Chine, tel fut le dessein de cet homme qui ne concevait cette mission que dans un cadre autoritaire qui alimente encore aujourd’hui les réflexions sur une sorte de fascisme chinois. Violent, il le fut incontestablement contre les communistes mais aussi les Taïwanais réfractaires, bien avant de s’installer sur l’île.
Chiang Kaï-Shek frôla le zénith, effleura la réussite quand la Seconde Guerre mondiale lui permit de se hisser au niveau des trois Grands. Mais comme le montrent des pages précises et pénétrantes, il ne put inverser le cours de la guerre qui privilégiait le front européen. Grisé, entouré de courtisans et d’une épouse ambitieuse, il accumula les erreurs au profit de son rival qui fut aussi son double, Mao, espérant que la guerre froide dégénérerait en Troisième Guerre mondiale.
Bref, un homme certes chinois mais aussi du XXe siècle.
frederic le moal
Alain Roux, Chiang Kaï-Shek. Le grand rival de Mao, Payot, août 2016, 653 p., 30 €
J’ai lu des extraits de cet ouvrages et il a en effet l’air passionnant ! Il y décrit avec précision le parcours de cet homme ambiguë que fut Chiang Kai-Chek. On y parle également de ses liens avec les seigneurs de la guerre dont le plus puissant et le plus fascinant : Zhang Zuolin, un bandit d’honneur devenu maître de la Mandchourie !
J’ai finalement carrément acheté le livre et je ne le regrette pas !