Edgar Allan Poe à la frange du récit
Ce roman est paru au Royaume-Uni en 2003 sous le titre The American Boy, puis aux USA en 2004 sous le titre An Impardonable Crime. Il s’appuie sur Edgar Allan Poe quand celui-ci est en Angleterre avec sa famille d’adoption. Il est connu, alors, comme Edgar Allan. Sa famille s’installe à Londres. Si les affaires de M. Allan sont florissantes au début, elles connaissent un crépuscule. Malgré les revers que connaissent ses affaires, il fait passer Edgar de son école londonienne à La Manor House School, un établissement plus coûteux, dont le directeur s’appelait John Bransby. Poe décrira cette école dans la nouvelle William Wilson.
Cependant, ce garçon n’apparaît qu’à la marge des histoires des autres dans ce thriller qui rappelle ceux d’un Wilkie Collins, par exemple. On y trouve un assassinat, des secrets de famille, des arrivistes, des financiers sans scrupules (en existe-t-il d’autres ?), des détrousseurs, des escrocs, des fraudeurs, des assassins, des aigrefins, des arnaqueurs, des truands. Il prend pour décor de belles demeures aux façades avenantes pour mieux dissimuler la laideur qui se développe derrière.
C’est le 8 septembre 1819 que Thomas Shield voit Sophie Frant pour la première fois en se rendant chez le révérend Bransby. Ce dernier, qui dirige la Manor House Scool, est très réticent à lui offrir un emploi. Thomas explicite si bien les raisons de ses actes qu’il convainc. Il est engagé à l’essai comme maître-assistant, chargé de suivre particulièrement le jeune Edgar Allan. La mort de sa tante, sa protectrice, l’amène au contact de M. Rowsell, notaire, et de Mme Jem, une femme qui rachète les meubles et les vêtements de sa parente. Il hérite d’une coquette somme que son employeur lui conseille de confier à la banque Wavenhoe. Quelques jours plus tard, le révérend lui demande d’accompagner le jeune Allan chez ses parents, à Londres, puis de se rendre à Russel Square pour ramener Charlie Frant, le nouvel élève de l’école. Il ressemble beaucoup à Edgar. Ils sympathiseront, d’ailleurs. Le père du garçon le reçoit et lui recommande une éducation sévère, sa mère est trop douce avec lui. Alors qu’ils partent, arrivent la cousine Flora, une pétulante jeune femme qui fait la connaissance de Thomas.
Charlie devient le souffre-douleur de deux élèves plus âgés. Las des sévices, il s’enfuit. C’est Thomas qui est chargé de le ramener après lui avoir administré la punition de douze coups de canne. C’est l’arrivée de Sophie qui rentre de chez Wevebhoe, son parent mourant, celle tonitruante de Noak, un homme d’affaires américain, qui sauvent Charlie et… Thomas de la punition. Ce dernier fréquente de plus en plus Russel Square au point, qu’un jour, il doit signer, en tant que témoin un codicille litigieux sur la répartition de la fortune de Wavenhoe mourant. C’est parce qu’il a rencontré souvent Henry Frant que la police le réquisitionne pour identifier le corps d’un homme horriblement mutilé sur un chantier de la banque Wavenhoe. Il entre dans une spirale lourde de conséquences quand il décide de trouver le coupable du meurtre de Frant, sans se douter qu’un piège se referme.
Avec ces éléments, et cette galerie de personnages peu reluisants, Andrew Taylor tisse une belle histoire telle qu’elle s’écrivait au XIXe siècle, riche en détails et en actions. L’auteur excelle à présenter les différentes classes sociales, les fossés profonds qui existent entre elles. Avec Thomas, de condition modeste, il montre les difficultés que celui-ci rencontre dans son quotidien et dans son attrait pour ces femmes appartenant à de riches familles. C’est aussi un roman qui oppose le Vieux Monde au Nouveau avec des spéculations américaines qui jouent un rôle dans la déroute de la banque Wavenhoe. Il met en scène des acteurs venus des États Confédérés, un homme d’affaires de Boston, un noir du Haut-Canada dont David Poe, le père d’Edgar qui, dans cette histoire, est bien vivant et responsable d’une partie importante de l’intrigue.
Un grand bravo à Françoise Smith, la traductrice, qui, outre une superbe restitution du récit, nous fait grâce de ces Mr inappropriés pour mettre M. en abréviation de monsieur.
Ce roman multicouche qui conjugue thriller, roman historique et un beau récit sentimental se lit avec passion tant les aventures de Thomas et celles des personnages qui l’entourent accrochent l’attention.
serge perraud
Andrew Taylor, L’Esprit des morts (The American Boy), traduit de l’anglais par Françoise Smith, cherche midi, coll. “Thriller”, mai 2016, 656 p. – 22,00 €.