Lucie Picandet est une artiste multimédia qui ne cesse d’interroger la vision et d’expérimenter des situations perceptives. Elle charge de « sédiments » ses images afin de produire une paradoxale clarté à travers au besoin de débordements. Chaque proposition est un épisode de cette expérimentation. Suivant les matières souvenirs, fantasmes, pulsions et perceptions se « nouent » pour assurer non que chaque chose a un lieu propre et des frontières précises mais que l’ « informe » agencé par l’artiste ouvre une blessure ou une suture qui crève ou répare le sens de l’Etre. Tout est question de coulure et de couture de « fils » .La célébration plastique de l’artiste donne le jour à un rituel décalé. Il prend à revers la représentation du monde et la perception du spectateur.
Lucie Picandet a exposé cette années à la Galerie Vallois, Paris 6ème, 36 rue de Seine (exposition collective “Heroes”)
Date: 19 février — 02 avril 2016 (vernissage 18 février)
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Ma nuit passée soit parce que j’ai fait des cauchemars et que je veux vite passer à autre chose, soit parce que j’ai fait des rêves et que je veux les réaliser.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je ne les ai jamais perdus de vue et ils me guident toujours.
A quoi avez-vous renoncé ?
À un certain nombre de conventions sociales et au métier de cosmonaute. Ah oui et au piano aussi.
D’où venez-vous ? Je ne sais absolument pas mais je pense que je viens de là ou je vais.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
En dot? Rien je ne suis pas mariée et la dot n’existe plus il me semble …Heureusement d’ailleurs…mais je ne suis pas sûre d’avoir compris la question…
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
La mozzarella di Buffala !
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
“Les autres artistes” ça fait beaucoup de monde… Il est arrivé que je me sente extrêmement libre avec les mots comme si la langue était une pâte et qu’elle pouvait devenir toutes les matières et que toutes les matières pouvaient devenir elle… Est-ce que c’est ça qui fait de moi quelqu’un de différent des autres artistes ?
Comment définiriez-vous votre approche de l’”abstraction” ?
Une approche concrète. J’ai du mal à savoir ce qu’est vraiment l’abstraction. Pour moi, tout est concret, matériel. Et les mots comme esprit, âme et justement abstraction en tant qu’ils s’opposent en art au terme figuratif, par exemple, m’empêchent de tout à fait penser ce terme comme une notion claire et distincte. Je préfère l’idée de processus métamorphique. Dans ce cas, s’il y a abstraction, c’est dans le passage d’une forme à une autre. Les systèmes de coordonnées, les rapports, les équivalences qui sont pour moi ce qu’il y a de plus concret, je les approche ou bien avec un fil et une aiguille ou bien avec un dictionnaire.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
C’est une très ancienne perception visuelle qui doit remonter à l’époque ou j’étais dans une poussette car je me souviens d’un enclos sombre autour de cette vision. Le reste, je ne m’en souviens pas vraiment sous la forme d’une image ni de quelque chose de reconnaissable. Je me souviens juste que je l’avais ressentie comme si je voyais à l’extérieur ce qu’il y avait à l’intérieur de moi.
Et votre première lecture ?
“Sein und Zeit” ( non je rigole… la première, c’était “Martine à la plage”).
Quelles musiques écoutez-vous ?
J’adore par dessus tout Ligeti, tout ce qu’il a fait. Mussorgsky dans Chants et danses de la mort, ensuite tous les autres. J’aime beaucoup de musiques différentes, très anciennes ou très nouvelles, avec un faible pour la minimal tekno : Richie Hawtin en particulier. J’aime tout ce qui permet de rentrer dans un état méditatif.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je n’aime pas lire et je ne relis jamais rien. Même pas ce que j’ai écrit
Quel film vous fait pleurer ?
“Hook”, “Max et les maxi monstres”… tous les films qui évoquent la rupture avec le monde de l’enfance.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
La plupart du temps je ne vois que le reflet de moi-même mais il m’est arrivé de me poser très profondément la question : “est-ce que ça c’est moi?”. J’ai refait le stade du miroir plusieurs fois dans ma vie.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je me suis écrit à moi, j’ai écrit à Dieu et au diable quand j’y croyais, à Sarkozy, j’ai écrit à des profs des mémoires entiers, j’ai écrit à des inconnus totaux, c’est d’ailleurs à eux que je m’adresse le plus souvent. Il m’arrive aussi d’écrire en m’adressant simplement au papier sur lequel j’écris. J’ai toujours osé écrire tout ce que je voulais à qui je voulais… Mais personne n’a jamais osé me répondre (les notes et les appréciations ne sont pas pour moi des réponses).
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Une petite allée du Parc Monceau et Delphes, devant les yeux de l’Aurige.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Deleuze, Foucault, Nietzsche, Ligeti, Kubrick, Duchamp et Picabia ensemble.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un atelier, une galerie et une lettre des éditions de minuit acceptant de me publier.
Que défendez-vous ?
Je défends la nouveauté absolue des vraies idées et la liberté de délirer
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Cela m’évoque l’idée que l’amour est encore un mot qui ne veut rien dire (comme abstraction, âme et esprit). Je ne dis pas que ça n’existe pas mais on est bien loin de le comprendre. Si on écrit la proposition inverse : “la haine est prendre quelque chose qu’on a à quelqu’un qui le veut”, ça ne veut pas dire grand chose non plus…
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Tout à fait d’accord.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Je crois que c’est bon, on a fait le tour !
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 8 août 2016.