Santiago Roncagliolo, La Peine capitale

Du pur roman noir à la parodie

Un homme, por­teur d’un paquet qui dis­si­mule un bébé, compte sur la foule du point d’eau pour faire sa livrai­son de façon dis­crète. Or, les ruelles sont désertes, tous les  Chi­liens sont devant leur poste de télé­vi­sion pour sou­te­nir leur équipe qui par­ti­cipe au Mon­dial 78, en Argen­tine. Mal­gré cela, il se sent épié, suivi et… meurt d’une balle dans la tête.
L’assistant-archiviste Félix Cha­cal­tana Saldí­var a reçu un procès-verbal bien incom­plet concer­nant Nepo­mu­ceno Val­di­via. Cho­qué, il décide d’émettre une plainte pour irré­gu­la­rité admi­nis­tra­tive migra­toire mineure. Son direc­teur, un fan de foot­ball, l’en dis­suade et lui fait faire une demande pour un…poste de télévision.

Son seul ami, Joa­quín Calvo, un pro­fes­seur de socio­lo­gie, n’est pas au rendez-vous. Celui-ci, lors de leur der­nière ren­contre était pâle et lui avait dit : « Prends soin de toi. Tout ira bien. » Il se rend à la faculté où il ensei­gnait, ren­contre deux étu­diants peu enclins à l’aider. C’est Félix qui, envoyé par son direc­teur pour dres­ser un procès-verbal car per­sonne ne veut rater le match, découvre le cadavre de son ami tué d’une balle entre les deux yeux.
Mais, pour retrou­ver des membres de la famille de Joa­quín, des proches, l’assistant-archiviste va se trou­ver pro­jeté dans une ronde meur­trière. Celui qu’il ren­con­trait avait des per­son­na­li­tés mul­tiples. Ainsi, il se rap­proche des milieux d’opposant au régime, se fait recru­ter par les Ser­vices secrets pour infil­trer, est inté­gré dans un secret d’État. Sa route san­glante croi­sera, pour le meilleur et pour le pire, celle d’une belle femme qui se révèle très dif­fé­rente de ce qu’elle paraît, celle d’un vété­ran de la guerre d’Espagne.
Can­dide dans un monde en folie, Félix va se mettre en dan­ger, ris­quer sa vie, seule­ment armé de naï­veté, de can­deur et d’un goût immo­déré pour les règlements…

Félix Cha­cal­tana est le héros d’Avril rouge, tra­duit en 2008 au Seuil. Il est alors sub­sti­tut du pro­cu­reur dans une ville pro­vin­ciale du Pérou et se trouve confronté à une série de meurtres sau­vages. Il va mener, contre l’avis de tous, des inves­ti­ga­tions jusqu’à… une évi­dence bru­tale. Pour ce livre, San­tiago Ron­ca­gliolo s’est ins­piré de l’histoire du Sen­tier lumi­neux, un mou­ve­ment armé, le plus violent d’Amérique latine, qui a semé la ter­reur dans tout le Pérou au cours des années 1980–90.
Avec La Peine capi­tale, le roman­cier reprend son per­son­nage alors que celui-ci, sorti depuis un an de l’université, tra­vaille dans les sous-sols du Tri­bu­nal de Lima aux archives. Il met en scène cet amou­reux de l’ordre, des lois, de tout ce qui concoure à enca­drer l’individu et ses actions.

Le récit se déroule pen­dant la coupe du monde de foot­ball. Il est rythmé par les dif­fé­rents matchs joués par l’équipe natio­nale. Régu­liè­re­ment, Félix, qui est tota­le­ment étran­ger à ce sport qui pas­sionne la grande majo­rité de ses conci­toyens, entend des extraits des com­men­taires jour­na­lis­tiques, ceux-ci pré­sen­tant tous les aspects de l’authenticité. D’ailleurs, chaque cha­pitre porte en titre les dif­fé­rents matchs de l’équipe péru­vienne jusqu’à ce résul­tat cata­clys­mique.
Paral­lè­le­ment, le roman­cier raconte les débuts du par­cours du pays vers la démo­cra­tie. Les mili­taires qui tenaient le Pérou sous leur joug orga­nisent des élec­tions. L’auteur évoque aussi les liens entre les régimes dic­ta­to­riaux, par­ti­cu­liè­re­ment avec l’Argentine. Il décrit un per­son­nage aty­pique, un gar­çon qui est sous la férule d’une mère confite en reli­gion, qui ido­lâtre un époux décédé depuis long­temps, un père qui reste dans les sou­ve­nirs de Félix comme un être brutal.

L’humour est omni­pré­sent, un humour nourri par les déca­lages entre les situa­tions vécues par le héros, sa façon de les appré­hen­der et de les vivre, sa manière d’être et de rai­son­ner. Tou­te­fois, l’intrigue est sous-tendue par la peur, une peur qui sourd de la situa­tion poli­tique, des pers­pec­tives de chan­ge­ments tant col­lec­tives qu’individuelles. Le créa­teur de Félix en fait un enquê­teur par hasard. Il donne, à tra­vers lui, une vision d’un monde pour lequel il n’est pas pré­paré. L’auteur ne précise-t-il pas : « Il était trop faible pour les temps qu’il avait à vivre. » Mais, cepen­dant, sa naï­veté, sa can­deur lui per­mettent de se sor­tir des situa­tions plus que déli­cates où l’entraînent ses inves­ti­ga­tions.
Avec La Peine capi­tale qui évoque à la fois la peine de mort et un pénalty au foot­ball, San­tiago Ron­ca­gliolo signe un magni­fique roman avec un superbe anti­hé­ros, si atta­chant et si… agaçant.

serge per­raud

San­tiago Ron­ca­gliolo, La Peine capi­tale, (La pena máxima), tra­duit de l’espagnol (Pérou) par Fran­çois Gau­dry, Métai­lié, coll Biblio­thèque Hispano-américaine – Noir, mars 2016, 384 p. – 20,00 €.

 

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