Aux inoffensifs loufoques qui prennent la photographie comme un copier/coller du réel, Maurizio Cattelan ne répond pas directement et en totalité. Ce qu’il aime dans son art, c’est que l’image produite est plate. Physiquement parlant. Car, question contenu, il n’en va pas de même. Avec Pierpaolo Ferrari, il la transforme en charge comme en témoigne une nouvelle fois le numéro 13 de sa revue publiée en hommage aux rencontres photographiques d’Arles en 2016.
Métamorphosant les standards de la photo de mode et de la publicité, Cattelan ne refuse jamais d’affronter la question esthétique et narrative du médium. Au moment où le beau est devenu un gadget pour Bobos prêts à baver aux poncifs à la mode, il crée des histoires hors de leurs gonds singeant toutes les images libidinales ou cauchemardesques du temps pour faire de chaque prise et montage un laboratoire des émotions d’usage afin de les porter vers un impensable.
On peut affirmer qu’il s’agit là du plus grand truquage, d’une feinte d’exaspération mais cela représente surtout la sortie du lieu sacramental de la photographie. L’Italien brise les catégories en signant la défaite d’un sens rédempteur. Néanmoins, il ne se limite pas à un exercice de « déceptivité » : il s’amuse des mascarades obligées et de leurs lots de duperies et d’illusions. Il crée un effervescent contact avec le halo lumineux de l’inconnu et du non circonscrit.
Loin de tout pédantisme d’une critique moutonnière, il défend l’indéfendable. Détrousseur de cadavres, Cattelan reste un inventeur qui jette hors de tout le confort de l’habitude pour le frisson de l’envol. Seule est entérinée la nouveauté imprévisible, la liberté déconditionnée.
Contre ceux qui maintiennent l’abrutissement par acception du laisser faire, du refus de la réflexion esthétique, l’artiste ne réduit jamais l’art à son ombre et à sa gadgétisation. Dans le chemin qu’il creuse, Cattelan se dégage du langage admis : il permet de faire sourdre des images aussi naïves que profondes et surprenantes, capables d’ouvrir le monde afin d’en proposer de nouvelles lectures.
Et si, pour le philosophe, la réalité se constitue en chaos, un chaos sans image, l’érudit de l’art lutte contre le chaos avec ce « rien » que sont des images performantes et perforatrices.
jean-paul gavard-perret
Maurizio Cattelan & Pierpaolo Ferrari, Toilet Paper n°13, Milan, 2016..