Guy de Maupassant, Pierre et Jean

Juste ce qu’il faut pour nous émou­voir tranquillement

Dans les grands sty­listes et maîtres du style,  il y a Mau­pas­sant, et dans ses petites perles il y a Pierre et Jean. Pierre et Jean sont deux frères, deux contraires même. L’un veut être méde­cin, l’autre avo­cat. Lorsque Jean reçoit l’héritage d’un homme qui n’est pas son père, l’idée qu’ils ne sont que demi-frères tra­vaille puis tor­ture son aîné rival. Et si demi-frère il y a, infi­dé­lité il y eut. C’est cette crise que tra­verse la famille Roland, d’abord intri­guée face à l’insolite, puis réso­lue face à l’évidence.
Nous sommes dans un milieu des plus com­muns, face à des per­son­nages qui sont davan­tage de vraies per­sonnes, telles qu’il en cir­cule dans notre mémoire. Des parents, des amis, de brèves connais­sances, bien sûr des enfants, un petit tableau de vie sobre mais intense que Mau­pas­sant entre­tient avec la sim­pli­cité d’un témoignage.

Si le style, par consé­quent la lit­té­ra­ture, est la res­ti­tu­tion de l’humain, s’il doit trans­po­ser des images, des idées, des sen­sa­tions chez le lec­teur qui en est vierge d’expérience, l’ écri­ture de Mau­pas­sant ici en est le par­fait exemple. Il y a deux moyens pour trans­po­ser : la pro­fu­sion et l’évocation, l’hypotypose ou le mur­mure impli­cite de quelques mots bien choi­sis — c’est le choix de notre auteur. Un choix que sert bien ici, c’est à noter,  une intro­duc­tion riche et enri­chis­sante sur les convic­tions et grands débats lit­té­raires d’une époque dont elle dresse  le por­trait intel­lec­tuel.
Bref, Peu de mots, et même peu de choses, mais juste ce qu’il faut pour sus­ci­ter en nous la par­tie man­quante, la moi­tié, voire la quasi entiè­reté du texte, à sup­po­ser que le sens lui donne son poids. Les por­traits ne retiennent que les plus prin­ci­paux traits, ceux que nous connais­sons et qui sug­gèrent l’évidence. Les mou­ve­ments des corps et du carac­tère se déroulent juste sous nos yeux, et pas dans les pro­fon­deurs mer­veilleuses d’une mer­veilleuse écri­ture. L’écriture est subal­terne à l’histoire. Bien sûr, elle offre élé­gance et consis­tance, mais sa vérité n’advient que par nous. L’auteur ne décrit pas l’intégralité des choses, il l’amorce et nous l’accomplissons nous-mêmes.

Juste ce qu’il faut pour nous émou­voir tranquillement.

 enzo miche­lis

Guy de Mau­pas­sant, Pierre et Jean, Pocket, 1889 (1), mars 2006 (2), 192 p. —  1, 50 €.

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