Rodica Draghincescu, Ra(ts)

 Avec Ra(ts), Rodica Dra­ghin­cescu met fin à un long silence pour faire écla­ter sa propre vision du monde, de l’homme, de la femme dans sa chair. « Je » tisse des liens avec l’Autre et avec soi. Sa poé­sie semble à pre­mière vue insai­sis­sable, dif­fi­cile d’accès, her­mé­tique par­fois… aussi, pour l’atteindre, faut-il se lais­ser por­ter par les mots-clés (l’enfance, le pays, le rien, le noir, le vide, l’absence  etc), par les sons et par les images. Rede­ve­nir enfant, se lais­ser gui­der par les sens des sou­ve­nirs… Comme dans la poé­sie rim­bal­dienne, les cou­leurs sont vives et les mots com­posent une musique ryth­mée qui accom­pagne le sens : c’est dans l’union du signi­fiant et du signi­fié que le « je » se dit, se révèle :

 « La fumée est la folie du feu.

L’épi­thète à neuf vol­cans qui y met plai­sir et

tourne et tourne et tourne

comme une torche-toupie,

brû­lant en offrande le souffre du je(u)

que la langue happe pour se purifier. »

 Sa poé­sie heurte. Les mots révèlent furieu­se­ment la vio­lence inhé­rente à la vie : de la nais­sance à la mort, le « je (u)» lyrique se débat avec cet uni­vers si étran­ge­ment autre et si étran­ge­ment soi :

 « Non ou

com­ment

ne pas dire oui au

 fil rouge salé

qui mène à un nou­veau né par un nou­veau mort,

tar­dant à en rejoindre un autre et un autre et un autre,

 différent,

séparé,

mutilé,

dis­tinct. »

 La Mort, le Rien, le Temps qui fuit. Le recueil est tra­versé de part en part par ses idées, fils matri­ciels inhé­rents à la vie, sans pour autant ver­ser dans le pes­si­misme ou le nihi­lisme. Bien au contraire, la poé­tesse met ces source anxio­gènes à dis­tance, elle les fait siennes en en jouant. Ainsi, dans un jeu quasi ouli­pien, Rodica Dra­ghin­cescu décline le rien pour atteindre une authen­ti­cité du « Rie­nis­sime ». Ici, en jouant sur les adverbes, « Le néant mène tou­jours au néant./ Le tou­jours ne conduit nulle part. », là par l’anaphore d’une locu­tion conjonctive :

« Rien que la vio­lence de la pierre qui, en tra­ver­sant l’eau, frappe le poisson.

Rien que la pluie qui ose don­ner aux mau­vaises odeurs de belles formes.

La ligne droite sans contour. Profonde.

Rien de rien de rien à venir.

Moins que rien.

Muraille invi­sible.

Nimic.

Vacuité. »

 Contre les appa­rences pre­mières, la poé­sie de Rodica Dra­ghin­cescu est empreinte d’une forme d’ironie voire d’humour qui lui per­met de gar­der une emprise sur la réa­lité de l’existence.
Enfin, la poé­tesse, maî­tresse de ses sens et amie des mots, dévoile une sen­si­bi­lité à fleur de peau (« Je m’écris en vous écri­vant »), com­po­sée de ses cultures. Dans « Pays », poème-chant, Rodica Dra­ghin­cescu exprime avec tous ses sens sa matrice pre­mière, celle qui, enfouie au plus pro­fond de son être, ne cesse de vibrer :

 « Pays vert,

pays d’or,

pays de charbon,

pays de sel,

pays de neige,

 cher pays du cha­riot à boeufs de Grigorescu,

dja, dja, dja, dja, dja, dja, dja,

pays bovin, communiste,

venant dou­ce­ment vers moi,

[…]

Pays,

cher pays,

c’est dans la tra­di­tion qu’on boit à ta santé,

comme à celle d’une poi­trine allaitante,

le noroc, à genoux. »

 Et si, fina­le­ment, la vérité de l’homme, la vérité de la femme étaient au car­re­four de ces mots, entre les cou­leurs, entre les sons… quelque part, là où le lec­teur trou­vera son che­min dans les méandres de ces émotions.

 alexan­dra joly

Rodica Dra­ghin­cescu, Ra(ts)  avec des gra­vures de Marc Gra­nier,
intro­duc­tion de Julien Blaine, pré­face de Cécile Oum­hani, édi­tions LE PETIT POIS, juillet 2012, 58 p. — 27, 00 €.

 

 

 

 

 

 

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