Mara Hoberman & Camille Morineau , Elsa Sahal

Le fémi­nin de l’être

Toute l’œuvre d’Elsa Sahal est tra­ver­sée de divers « anta­go­nismes ». D’abord, entre un des arts les plus anciens (la céra­mique) et une approche très post­mo­derne où les capa­ci­tés du médium sont revi­si­tées. A cet « échange » se super­posent d’autres plus pro­fonds et plus sourds. Formes matri­cielles et phal­liques jouent non sans iro­nie jusqu’à tour­ner en ridi­cule les « re-pères » mais sous forme pure­ment plas­tique. Les lois et stan­dards de repré­sen­ta­tion en prennent pour leur grade à tra­vers de telles pièces. Cer­taines sont des renais­sances, d’autres des­cendent dans les entrailles trem­blantes de cha­leur ou nouées vers le froid à l’âme.
De telles images pensent le corps mais ne se limitent pas à lui. Comme une arai­gnée, la créa­trice tire un fil qui ne s’arrête jamais dans sa tête ou ses jambes mais devient le lieu de fusion entre abs­trac­tion et figu­ra­tion afin de créer des hybri­da­tions sidérantes.

Les pièces sont aussi angois­santes que far­cesques. La fémi­nité et ses organes trouvent une figu­ra­tion étrange : organes, ori­fices iso­lés sont méta­mor­pho­sés par la puis­sance de l’émail et ses cou­leurs au sein de nar­ra­tions pro­vo­ca­trices et joyeuses. Les auteurs du livre les mettent par­fai­te­ment en évi­dence l’enjeu de l’œuvre.
Il est vrai que Mara Hober­man et Camille Mori­neau savent en effet ce que le fémi­nin dans l’art peut pro­vo­quer et l’ont prouvé dans leurs dif­fé­rents com­mis­sa­riats d’expositions.

Encore trop mécon­nue (sans doute parce que la céra­mique reste sou­vent un art déva­lo­risé), Elsa Sahal pro­pose une reven­di­ca­tion drôle, jouis­sive, intel­li­gente de la force du fémi­nin. Ani­mée de luci­dité et de poé­sie, avan­çant en tâton­nant, l’artiste lutte pour l’espoir contre les écra­se­ments. Chaque sculp­ture inter­roge, inter­pelle.
Au regar­deur de se débrouiller, de se dépê­trer dans leurs réseaux par­cou­rus d’intensités diverses de mémoire, de pen­sée, de sen­sa­tion, d’émotion, de rythme. Sur­gissent la per­sis­tance du désir et la per­ma­nence de l’obstacle. L’artiste les sou­ligne en pré­fé­rant à la plate reven­di­ca­tion  le jeu de l’humour donc de l’intelligence .

jean-paul gavard-perret

Mara Hober­man & Camille Mori­neau, Elsa Sahal, Edi­tions Norma, 2016.

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