L’univers répond toujours par oui” : entretien avec la photographe Vivienne B.

Vivienne B crée une scé­no­gra­phie éro­tique sub­tile et s’amuse avec le féti­chisme. Ses modèles portent au besoin des bas noirs et des­sous chocs. Par­fois naïades, par­fois ailées, les femmes sont éva­nes­centes. Leur sexua­lité reste une énigme.  La femme grâce à la pho­to­graphe est tou­jours sédui­sante mais sa vraie beauté se situe dans les yeux de la pho­to­graphe qui sug­gère en chaque modèle quelque chose de caché. Toutes disent qu’elles aiment tra­vailler avec elle. Elles se sentent à l’aise et non femmes-objets car le carac­tère sexy que recherche la pho­to­graphe est plein de poé­sie.Elle les fait bou­ger dans une approche beau­coup plus libre que chez les pho­to­graphes stan­dards. Les égé­ries ne sont plus des oiseaux en cage et semblent prendre du plai­sir à affi­cher leur côté éro­tique. La dif­fé­rence avec les pho­to­graphes mâles est donc évi­dente. Pour Vivienne B.,  les femmes ne sont pas là sim­ple­ment pour être admi­rées, de beaux objets intou­chables, elles deviennent sujets de res­pect. On est donc bien loin de la séance de shoo­ting du Blow-Up  d’Antonioni…

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
J’ai deux options pour répondre. Je peux choi­sir une image atten­due pour décrire mon réveil : je suis réveillée par un bai­ser de mon mari ou par l’odeur du pain grillé et du café. Mais je peux évo­quer aussi la réa­lité. Je ne sais pas ce qui me réveille le matin ! Ne trouvez-vous pas que le réveil est une chose mys­té­rieuse ? Je me dois de pen­ser que c’est la vie qui nous appelle chaque jour.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfants ?
J’ai beau­coup plus de rêves d’enfants aujourd’hui que lorsque j’étais enfant. Les rêves que j’avais alors, je ne les ai pas encore réa­li­sés. Je les consi­dère comme des rêves et c’est tout. Mais main­te­nant, je com­prends que ce sont les idées, les pen­sées de ce que je vou­drais pour ma vie. C’est pour­quoi je les consi­dère comme fer­més et inachevables.

A quoi avez-vous renoncé ?
Je peux vous confier que j’ai eu une vie très dif­fi­cile. Mais mes souf­frances ont été mon plus grand maître. Il y a quelques années, j’aurais dit que j’ai renoncé à tant de choses dans ma vie. Mais main­te­nant je sais que je n’ai renoncé à rien.

D’où venez-vous ?
D’une culture aca­dé­mique. Mon père était un peintre connu en Ita­lie dans les années 50–70. Il a défendu le nu artis­tique. Les études clas­siques, phi­lo­so­phiques et artis­tiques consti­tuent ma culture. J’ai étu­dié la psy­cho­lo­gie de l’image puis les arts didac­tiques à l’Académie Alber­tina des beaux-arts à Turin. J’ai des com­pé­tences cri­tiques artis­tiques et humanistes.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Je ne me sou­viens pas de la pre­mière image mais je sais que je me sou­vien­drai de la dernière.

Et votre pre­mier livre ?
Le conte du Pois­son d’Or.
 Mon père me l’a lu lorsque j’étais enfant.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Mon expres­sion per­son­nelle, je crée exac­te­ment comme je suis. J’aime voir mes pho­to­gra­phies comme une radio­gra­phie aux rayons X de mes sen­ti­ments et de mes émo­tions à un moment donné. Chaque artiste est unique. Nous sommes tous particuliers.

Pour­quoi votre inté­rêt pour la pho­to­gra­phie des femmes ?
Pour m’exprimer à tra­vers l’appareil pho­to­gra­phique et mon inté­rêt pour la femme en tant que sujet.

Com­ment et où travaillez-vous ?
Je tra­vaille dans les espaces de mon esprit, Aahaha … Je plai­sante ! Je pho­to­gra­phie lorsque la lumière et l’environnement m’offrent quelque chose de pré­cieux et de spé­cial. Je suis très atten­tive au choix de mes modèles et en par­ti­cu­lier à leurs gestes. L’ambiance de la pho­to­gra­phie me vient d’abord à l’esprit, puis je l’accomplis dans la réa­lité. Je laisse un péri­mètre à la liberté et aux sen­ti­ments de mes modèles. Pour moi, ce ne sont jamais des pou­pées sta­tiques qui prennent une pose. Ce sont des êtres humains avec leur beauté, leurs émo­tions et je veux révé­ler tout cela. Je ne pho­to­gra­phie pas tou­jours avec la même lumière. C’est pour­quoi je choi­sis des lumières d’appoint pour racon­ter l’histoire que j’ai décidé pour le jour dit. La post­pro­duc­tion de mes pho­to­gra­phies garde un rôle impor­tant. Elle répond à l’émotion que je res­sens en regar­dant mon tra­vail en tota­lité. Je décide alors quelles sont la tona­lité et la nuance par­faites qui vont avec chaque prise. A la fin, chaque photo pro­voque constam­ment une émo­tion sur­pre­nante : comme si elle était née entre mes mains.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je n’ai jamais osé écrire à Paolo Roversi ou à Tim Wal­ker. Peut-être parce qu’ils sont des artistes qui attendent mieux que mon tra­vail… Mais hon­nê­te­ment, c’est parce que je ne connais pas leur e-mail. Autre­ment, j’aurais osé leur écrire. J’aimerais les ren­con­trer. Paolo parce qu’il pos­sède un style fémi­nin et roman­tique. Tim parce qu’il crée des images tirées d’un rêve. Qui sait ? Peut-être qu’ils liront cette inter­view et m’écriront. Pour­quoi pas ? Dans la vie tout est possible.

Quelle musique écoutez-vous ?
Toutes sortes, avec une constante : la musique qui me donne des vibra­tions positives.

Quel livre aimez-vous relire ?
Depuis des années je ne lis les livres qu’une seule fois, même s’ils sont beaux. C’est la même chose pour les lieux où j’ai eu de grands sou­ve­nirs. Je veux gar­der tout cela intact. Tel quel.

Lorsque vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je vois une femme belle, pleine de talent et de créa­ti­vité. Une femme curieuse avec la joie de vivre et d’aimer. L’amour est l’axe de ma vie. Je vois une femme qui avance dans le voyage de son exis­tence. J’aime qui je suis.

Quel lieu a valeur de mythe pour vous ?
Tous les pays du Nord de l’Europe, et par­ti­cu­liè­re­ment l’Ecosse, l’Angleterre, l’Islande.

De quels artistes vous sentez-vous la plus proche ?
Ceux qui ont leur propre style, qui n’empruntent pas des mor­ceaux ici et là et suivent la loi du mar­ché juste pour avoir du suc­cès. Bien sûr, vous devez avoir du carac­tère et de la per­sé­vé­rance pour gar­der votre propre vision. L’emprunter à d’autres, c’est juste un moyen de vous dire à vous-même que vous n’êtes pas assez bon, que ce que vous êtes n’est pas bon. Cha­cun peut inno­ver. Il suf­fit de créer avec amour ce que vous réa­li­sez et en avoir une idée pré­cise. Et par-dessus tout vous aimer.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Un film avec un grand sentiment.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
C’est réel­le­ment une ques­tion intel­li­gente et belle ! Laissez-moi réflé­chir… Puis-je vous le dire le 2 Octobre ?…

Que vous ins­pire la phrase de Lacan « L’amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » ?
C’est une phrase mer­veilleuse. La clé de tous tra­vaux est une ques­tion d’amour, de désir, de plai­sir. Mais il est facile de tom­ber dans des inter­pré­ta­tions erro­nées et perdre la pro­fon­deur et l’utilité de la pensé de Lacan. Qu’est ce que ce « que l’on n’a pas » ? Ce qu’on a n’est pas ce que l’on veut parce que ce que l’on pos­sède, peut-être qu’on ne le veut plus. Pen­sez  com­bien de fois nous dési­rons quelque chose et, une fois obtenu, cela n’est plus dési­rable comme avant la conquête. C’est pour­quoi, si vous consi­dé­rez l’amour comme une pos­ses­sion, il est des­tiné à mou­rir. A l’inverse, l’amour peut être un moyen de se connec­ter au sujet du désir, donc, au manque, en somme, à son niveau le plus profond.

Et celle de Woody Allen “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?”
Il n’y a pas de ques­tion et la réponse est tou­jours oui. Mais « Oui » n’est jamais une réponse simple. C’est la conscience pro­fonde d’être en com­plète fusion avec l’univers et la créa­tion. Nous sommes ce que nous pen­sons. L’Univers répond tou­jours d’un Oui.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
C’est la meilleure ques­tion. « Qui est Vivienne B. ?” Lais­sez mes pho­tos par­ler par elles-mêmes.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com,  le 26 février 2016. Tra­duc­tion de l’anglais : Lara Gavard-Perret.

 

 

 

 

 

 

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