Dans un univers déboussolé où le Pôle Nord, la quintessence de l’orientation, est parti en direction du Sud, des personnages tous plus atypiques les uns que les autres tentent de mener leur propre quête ou de suivre le parcours que le destin leur réserve. De plus, l’horloge du temps s’est dérèglée, est devenue incohérente.
Manie Ganza, la fille de la reine d’Éther, a passé un marché auprès de la banque du temps : des siècles de vie, de jeunesse, contre des milliers de morts. Effarée par ce qu’elle a fait, elle fui en compagnie d’Eugène, le peintre officiel du royaume. Sa mère la poursuit pour la tuer, ne supportant pas l’idée qu’elle vive, si belle, après elle.
Le présent tome débute avec la réunion des Primordiaux à l’initiative de l’un d’eux qui, proche des humains, veut leur venir en aide. Mais ses congénères s’en moquent. Si les humains ont inventé des machines qui produisent de gros dégâts, qu’ils assument leurs responsabilités. Les royaumes se préparent au combat. Celui du roi Iréné s’en prend au roi Alceste et à l’océan. Le Petitghistan veut devenir grand et déclare la guerre à tous les pays limitrophes. Le groupe autour de Manie et d’Eugène fuit les sbires de la reine. Si Manie peut sauter sur un vol de tapis, Eugène, trop lent, est capturé.
Dans le désert, le Major négocie pour sauver un lapin, l’avatar du Pôle Nord, des griffes de Baba Arbiche qui veut en faire un tajine aux abricots.
Ce troisième tome, comme les précédents, garde un tempo tonique pour ce scénario où, sous des aspects débridés, tout est très cohérent. Ainsi le titre trouve sa source avec le Pôle Nord. Le basculement du magnétisme du nord au sud, et inversement, est une réalité scientifiquement prouvée. Ce récit est truffé de références aux grands classiques de la littérature populaire, d’hommages avec le lapin, le Major…
Le scénario est en phase avec l’actualité brûlante quand, par exemple, le Major et le lapin se retrouvent dans la vallée des idoles où des statues de déesses avaient été érigées, puis : “…lors d’un âge sombre les guerriers Djidouillis ont détruit ces vénus callipyges aux trop opulentes poitrines.” L’auteur propose une scène où des moines promènent un livre, leur référence absolue car : “Tout est dans le Livre”. Cette affirmation est très proche de ce que professent tous les fanatiques de la Bible ou du Coran, faisant dire à ces écrits tout et son contraire.
Le graphisme de Baptiste Andreae, aux couleurs directes, est inventif et d’une beauté saisissante. Chaque planche, chaque vignette sont un tableau en soi, avec moult détails et des décors fabuleux. Ces décors, proches du steampunk, mécanisés à la façon des machines industrielles du XIXe siècle, transcendent des personnages au physique remarquables. Ce récit se lit avec un plaisir sans cesse renouvelé. Les trouvailles sont nombreuses et innovantes.
Avec ce tome, ouvert sur une suite qui s’annonce toujours passionnante, Azimut est une vraie réussite en matière de BD.
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serge perraud
Wilfrid Lupano (scénario) & Baptiste Andreae (dessin et couleurs), Azimut, t.3 : “Les Anthropotames du Nihil”, Vents d’Ouest, coll. “Hors collection”, janvier 2016, 48 p. – 13,90 €.