Portrait de l’artiste en voyeur et modèle — entretien avec Hester Scheurwater

Lauto­por­trait chez Hes­ter Scheur­wa­ter est tout sauf un pro­duit de consom­ma­tion, de gas­pillage d’une spé­cu­la­tion libi­di­nale. Il n’est pas plus porté vers une vision épi­pha­nique. Loin de toute mas­ca­rade som­nam­bu­lique ou exhi­bi­tion approxi­ma­tive, le sel­fie devient l’inverse d’une super­fi­cia­lité conve­nue et ludique. Face au prêt à consom­mer, la créa­trice our­dit un ima­gi­naire qui per­met des plas­ti­ci­tés et repré­sen­ta­tions classiques.

Le corps et le vête­ment, entre radi­ca­lité et déchi­rure, deviennent des mises en scène propres à créer une réflexion nou­velle.
Volon­tai­re­ment sans « grâce », l’autoportrait trans­porte la sup­po­sée « lai­deur » en pièces ines­ti­mables. Il devient capable de sug­gé­rer la perte, l’absence, l’éphémère en un modèle par­ti­cu­lier qui trans­forme «la tri­via­lité posi­tive » qu’abhorrait Bau­de­laire en sub­stance active d’une force qui avance contre les ombres de la média­ti­sa­tion officielle.

 Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le café et le petit déjeuner.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfants ?
Depuis mes plus jeunes années je disais à tout le monde que je vou­lais deve­nir artiste. J’ai tou­jours senti qu’il s’agissait d’une exi­gence. Je le suis donc deve­nue. A côté, j’ai aussi été consciente de me battre pour l’égalité entre autres des sexes et des genres ainsi que des choses liées à ces concepts ou natures.

A quoi avez-vous renoncé ?
Pour être hon­nête, je ne sais pas. A l’école d’art, je pra­ti­quais le plus de mediums pos­sibles — pein­ture, des­sin, sculp­ture. Je pense que j’ ai plus ou moins aban­donné ces com­pé­tences. De temps en temps, j’éprouve le besoin de reprendre la pein­ture et le des­sin. Je devrais le faire tant j’aime les pratiquer.

D’où venez-vous ?
Je suis née à Hendrik-Ido-Ambacht, une petite ville à côté de Rotterdam.

Quelle est la pre­mière image dont vous vous sou­ve­nez ?
Je pense qu’il s’agit d’une des pho­tos de notre album de famille : moi bébé entou­rée de mes parents veillant sur moi.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Cow­boy Kate
” par Sam Haskins.

Pour­quoi choisissez-vous le sel­fie comme module majeur de votre tra­vail ?
J’ai com­mencé à faire des auto­por­traits il y a 20 ans. D’abord en vidéos et video-performances puis à par­tir de 2009 en pho­to­gra­phies. J’ai choisi de tra­vailler avec mon propre corps pour être indé­pen­dante et libre de faire ce que je vou­lais et ce que j’avais dans l’idée ; plus tard, j’ai décou­vert que j’étais la seule à pou­voir me don­ner à moi-même afin de pro­cu­rer l’intensité néces­saire à mon travail.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
En un cer­tain sens (mais bien sûr c’est le lot de beau­coup d’artistes qui tra­vaillent comme moi), c’est le fait d’être voyeur et modèle pour une part et voyeur et exhi­bi­tion­niste d”une autre. Et je n’essaye pas de renon­cer à ce “double”. ( Ou alors suis-je une nar­cisse ? A vous de me le dire !).

Où travaillez-vous et com­ment ?
Je tra­vaille tou­jours chez moi ou dans les lieux où je me sens chez moi. J’ai mon ate­lier à Rot­ter­dam mais je suis tou­jours très ins­pi­rée par des lieux dans d’autres pays lors de mes vacances : ma “mai­son” est alors dans un pays étran­ger avec ses dif­fé­rentes lumières, espaces et atmosphères.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A un diseur de bonne aventure.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Bach, Chicks on Speed, Top 40 hits, Jenny Hval et beau­coup d’autres.

Quel livre aimez-vous relire ?
“Mon Jar­din Secret”
de Nancy Fri­day, c’est un livre si intel­li­gent, non conven­tion­nel et bri­seur de tabous.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Hes­ter Scheur­wa­ter qui est tou­jours un autre reflet et la totale oppo­sée de celle qui se montre dans mes oeuvres.

Quels lieux ont valeur de mythes pour vous ?
Bar­ce­lone, IJzen­dijke, Le Cap d’Agde, Tré­vise, Ron­cade, Menfi, mon jar­din der­rière ma mai­son. Tous les endroits qui ne per­mettent de réa­li­ser de nou­velles séries d’autoportraits.

Quels sont les artistes dont vous vous sen­tez la plus proche ?
Claude Cahun, Fran­cesca Wood­man, Lee Mil­ler, Elke Krys­tu­fek, Cindy Sher­man, Valie Export…. Dois-je en nom­mer d’autres ? (note du tra­duc­teur : non car tout est bien dit, ces noms illus­trent par­fai­te­ment votre entreprise).

Quel film vous fait pleu­rer ?
Les séries très basiques que regardent mes enfants. Je pleure tou­jours très facilement.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une semaine de vacances en famille.

Que pensez-vous de la phrase de Lacan “l’amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
En tant que mère de trois enfants, je ne peux pas être d’accord.

Et celle de Woody Allen “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?”
Avez-vous peur de la mort ?

Quelle ques­tion ai-je oublié de vos poser ?
Pour­quoi avez-vous mis autant de temps à répondre à vos ques­tions ? (n. d. t. : elles en sont plus précieuses).

Pré­sen­ta­tion, entre­tien et tra­duc­tion de l’anglais  réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 1er février 2016.

 

 

 

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