Frédéric Worms, Soin et politique

 Il y a un point com­mun entre la santé, l’éducation, la sécu­rité, et même la pers­pec­tive d’une jus­tice sociale : elles peuvent être pen­sées comme des soins. En quelques années, cette notion de soin est deve­nue le bien com­mun et sug­ges­tif des théo­ries du care, des approches bio­po­li­tiques, des éthiques d’autrui et de l’économie des capa­bi­li­tés. Le livre clair et syn­thé­tique de Fré­dé­ric Worms per­met de dis­cer­ner la diver­sité des dimen­sions du soin comme un enjeu pro­pre­ment poli­tique. Sa thèse est qu’un soin qui ne se sau­rait pas poli­tique se per­drait aussi sûre­ment qu’une poli­tique qui oublie­rait de soi­gner. Il s’agit donc ici de réorien­ter les deux plus grands champs de nos pra­tiques publiques, afin que cha­cun retrouve son sens dans l’autre. Car le soin ne se réduit pas au secours : il a de mul­tiples dimen­sions (sou­tien, tra­vail, soli­da­rité, souci) qui ont cha­cune une por­tée ou un sens politique.

1          Le soin est un sou­tien, et donc bien plus qu’un simple secours. Car, comme l’a si bien mon­tré Simone Weil, le devoir impé­rieux de répondre à la faim de l’autre est le modèle de tous les devoirs. Une éthique se fon­de­rait donc à la fois sur autrui et sur le soin, dans la néces­saire réponse du soin au besoin. Insen­si­ble­ment, on passe ainsi de la morale à la poli­tique, qui peut se redé­fi­nir comme « sou­tien aux soutiens ».

2          Le soin est tra­vail : il dépasse le simple acte moral en s’inscrivant dans la durée et dans la société, comme un pou­voir para­doxal. Car il est à la fois com­pé­tence et dévoue­ment, pou­voir exercé et pou­voir subi. Telle est la sin­gu­la­rité poli­tique du soin, qui est aussi essen­tiel­le­ment com­man­de­ment que service.

3          Le soin est soli­da­rité. Car si le soin se fonde sur l’interdépendance des exis­tences en société, il éta­blit aus­si­tôt entre elles une rela­tion d’égalité et de liberté. L’exigence de jus­tice prend donc ici un sens concret et acces­sible : la soli­da­rité défi­nie comme sou­tien réciproque.

4          Le soin est souci. Mais le souci qui se sait soin ne se réduit pas plus à la souf­france de l’inquiétude qu’à l’impuissance de l’angoisse : il est souci du monde, éco­lo­gie, devoir cos­mo­po­li­tique au sens propre. Dans l’Etre et le néant, Sartre nous a décrit l’angoisse d’une liberté dans un monde sans guide ; dans Tota­lité et infini, Levi­nas nous a décrit l’inquiétude d’un sujet qui se découvre res­pon­sable de l’autre. Un nou­veau souci se des­sine, qui dépasse en dou­ceur ceux de Sartre et Levi­nas : il ne s’agit plus de trou­ver une place dans le monde, mais d’en prendre soin.

Il y a donc dans ce petit livre un pla­to­nisme salu­taire : en rap­pro­chant le poli­tique et le soin, il vise à réta­blir, entre l’idée de poli­tique et l’idée de soin, la conni­vence, la com­mu­nauté d’intention, ce sens du com­mun qu’elles ont en com­mun, sans lequel elles se rédui­raient ou se perdraient.

jean-paul gali­bert

Fré­dé­ric Worms, Soin et poli­tiquePUF, col­lec­tion “Ques­tion de soin”, aout 2012, 64 p. - 6,00 €

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