Hans Staden, Nus, féroces et anthropophages

Ecrit au XVIe siècle par un Alle­mand de Ham­bourg, ce livre est à la fois récit d’aventures et traité ethonlogique

En 1557, Hans Sta­den, Alle­mand de Ham­bourg, publie le récit de son voyage et de sa cap­ti­vité en Amé­rique du Sud. Il y raconte d’abord les péré­gri­na­tions et les errances entre les côtes afri­caines et amé­ri­caines à la recherche de navires étran­gers à prendre et à piller et de mar­chan­dises à échan­ger. Cette pre­mière par­tie est ryth­mée par les com­bats et les nau­frages, par les peurs et les risques liés à ces tout pre­miers temps de la navi­ga­tion trans­at­lan­tique. Elle est mar­quée par le désir de décou­verte et cette pas­sion de l’inconnu que l’on res­sent dans les des­crip­tions hasar­deuses et mys­té­rieuses de côtes qu’il ne connaît pas, dans les­quelles il cherche à se repé­rer. Ainsi, ce livre est d’abord un for­mi­dable récit d’aventures authen­tiques.
Mais lorsque Hans entame la des­crip­tion de sa cap­ti­vité chez les Indiens Tup­pi­nam­bas, chan­geant non plus seule­ment de côtes et de rivages, mais de maîtres qui attendent l’occasion pour le rôtir et le dévo­rer, le récit devient plus inti­miste, chargé de sus­pense - et donc d’angoisse.
Dans une deuxième par­tie, Hans Sta­den cherche à nous décrire de manière pré­cise et concise dif­fé­rents aspects de la société des Tup­pi­nam­bas : mariages, rites, croyances, cou­tumes, nour­ri­tures… consti­tuant ainsi une sorte d’essai d’ethnologie dans toute sa fraî­cheur, obsédé qu’il était par le souci du détail.

Cet ouvrage, bien illus­tré par les gra­vures de l’édition ori­gi­nale, est cap­ti­vant à plus d’un titre. Au début du texte, là où d’autres cher­che­raient la gloire et insis­te­raient sur les com­bats, l’auteur se contente d’évoquer à peine la prise d’un navire ou la mort de ses cama­rades d’infortune. Mais avec la cap­ti­vité, tout change… Par son souci obsé­dant d’être cru, Hans nous donne des détails — crus jus­te­ment.
C’est un texte court, qui ne se perd pas en des­crip­tions, qui va à l’essentiel, au détail pré­cis mais qui laisse des zones d’ombres : et dans ces zones d’ombres l’imagination navigue, gui­dée par quelques mots bien choi­sis pour évo­quer le tabou ultime. Tuer ou mou­rir n’est pas grand-chose, semble-t-il, pour ce chré­tien du XVIe siècle. La mort est omni­pré­sente. Mais man­ger de la chair humaine ou être mangé, voilà qui pose pro­blème. Car tout tourne autour de l’anthropophagie : elle est au cœur de la société des Tup­pi­nam­bas, elle est au cœur du récit, au cœur de la des­ti­née de Sta­den, au cœur du contact entre lui et eux.

Contact. C’est un livre sur le contact et la dis­tance. Un voyage dans l’espace et dans le temps. Dans l’espace atlan­tique du XVIe siècle qui n’est pas le même que celui d’aujourd’hui. Nous ren­trons dans les pen­sées d’un homme du Nord de l’Europe témoin direct des grandes décou­vertes, confronté — comme nous — à des peuples si étranges et dif­fé­rents. De ce contact naît le miracle. Non pas le miracle au seul sens reli­gieux et spi­ri­tuel du terme comme on l’entend aujourd’hui, mais le vrai miracle issu des ori­gines : au XVIe, le miracle était certes reli­gieux mais le mot se rap­por­tait aussi à l’étonnement, à l’admiration devant une chose extra­or­di­naire. Miracle de sur­vivre plu­sieurs fois, miracle aussi des Tup­pi­nam­bas qui cherchent à obte­nir par le biais des prières de Hans, les faveurs de son dieu.

Car Hans se pré­sente comme un mira­culé. Le dieu, dont il pense avoir été le pro­tégé, n’a été qu’une pas­se­relle entre les deux peuples. Bien plus que sa foi, c’est son souci du res­pect, de la com­pré­hen­sion qui l’a sauvé. Il a su com­prendre et uti­li­ser leurs croyances pour sur­vivre, comme ils ont cher­ché à uti­li­ser sa foi pour gué­rir ou sor­tir des tem­pêtes. Pas de rap­ports encore entre des domi­nants et des domi­nés ; ces peuples se cherchent encore. Les para­digmes idéo­lo­giques ne sont pas encore posés d’où une fraî­cheur et une grande naï­veté — qui n’excluent pas la cruauté — dans les contacts. Si l’auteur qua­li­fie ses anciens maîtres de sau­vages, c’est sur­tout pour se pro­té­ger des réac­tions que pou­vaient avoir et que peuvent encore avoir des lec­teurs euro­péens enfer­més dans leurs sys­tèmes moraux et spi­ri­tuels. Il pré­fère le terme de natu­rels ; on sent chez lui le besoin de com­prendre l’autre dans sa tota­lité. D’où cette deuxième par­tie eth­no­lo­gique. 
Il n’y a donc aucune rai­son de se pri­ver du plai­sir enri­chis­sant que pro­cure la lec­ture de ce texte simple et mer­veilleux, écrit de sur­croît par un mira­culé du XVIe siècle…

camille ara­nyossy

   
 

Hans Sta­den, Nus, féroces et anthro­po­phages (tra­duit par H. Ternaux-Compans), Métai­lié “Suites”, avril 2005, 260 p.
– 8,00 €.

 
     
 

Leave a Comment

Filed under Essais / Documents / Biographies

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>