Avec une poignée de terre : entretien avec l’artiste Wendy Thibaudeau

Les auto­por­traits de Wendy Thi­bau­deau res­semblent par­fois à des papillons du soir. Quoique noc­turne dans ces pho­to­gra­phies, le jour se relève. Bien des formes conviennent au visage de l’artiste et les cou­leurs qui s’y affichent deviennent des  sucres lents. Wendy Thi­bau­deau mul­ti­plie les appa­rences, une cosse d’émotion brille. Chaque pho­to­gra­phie est une idée simple aux termes com­plexes et fait de termes simples une idée com­plexe. Pour la pho­to­graphe, don­ner des formes au visage c’est don­ner de la vie, la faire reve­nir sur la bouche comme un par­fum.
L’artiste ne crée pas des parures mais des fables en ellipses et tra­jec­toires. Lorsque le doigt déclenche l’obturateur, l’obscur tra­verse son suaire. Le pré­sent s’allonge offrant à l’instant les lèvres, le regard : la beauté à la fois se montre et se cache. Il existe sou­dain du vol­can et de la fashion­nista dans l’air : frou­frou du ciel et clair obs­cur, mous­se­line légère ou impres­sion pan­thère, ange et tigresse.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le matin, mes méninges sont très oua­tés et mes pen­sées vaga­bondes, je suis entre le « 1984 » de George Orwell , « Le meilleur des mondes » d’Aldous Hux­ley et sur­tout « Le Châ­teau » de Kafka .. Je pars donc au tra­vail :-)

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Sou­vent des cau­che­mars …:-) je tenais tou­jours mes nattes en dor­mant… De peur de les retrou­ver cou­pées au pied de mon lit… Déjà un grand lien avec les che­veux… J’adorais les contes où les che­veux étaient les clefs du conte. Et aujourd’hui… Mes rêves d’enfants se réa­lisent. Je dois bien avoir une ving­taine de per­ruques et je conti­nue à jouer à me déguiser

A quoi avez-vous renoncé ?
Je ne renonce jamais, je suis beau­coup trop curieuse .. J ai tou­jours besoin de savoir .. Les défis sont pour moi un grand amu­se­ment.

D’où venez-vous ?

D’une famille de 7 enfants, j’ai 6 frères et je suis la petite der­nière.. Des frères qui m’adorent et que j’adore … Je suis née dans la forêt … J’en suis cer­taine :-)

Qu’avez-vous reçu en dot ?
.
.….. Mazette… Niet…

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Plu­sieurs plai­sirs :-) )) Tous les jours, j’ai de nou­velles idées et je savoure en avance les plai­sirs que cela va me procurer.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
J’ai une grande estime pour le mot artiste, cela veut dire pour moi une vie de recherches constantes : tou­jours faire mais en défai­sant ensuite. Je pense que l’on ne peut pas faire réel­le­ment de l’art sans s’y don­ner tout entier et je ne me donne pas encore entiè­re­ment… Le temps… qui manque… C’est sou­vent pour cela que mes séances pho­tos ne se font que la nuit… Le jour… Je gagne ma vie pour vivre à Paris , mon sein nour­ri­cier :-) . Un artiste doit se consa­crer entiè­re­ment à son art, sans pres­sion aucune… Seule­ment sa seule exi­gence inté­rieure, alors je ne suis pas encore à ce stade… mais je sais que je me réa­li­se­rai. Ou pas… C’est Fran­cis Pica­bia qui disait ” Je suis l’anti artiste par excel­lence, un monstre quoi ! “. J’aime bien cette citation …

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pela ?
La pre­mière image qui m’interpelle… Peut-être l’image de soi… Cela me ques­tionne beau­coup :-)

Et votre pre­mière lec­ture ?
« Les aven­ture de Mr Pick­wick »
de Charles Dickens.

Pour­quoi votre atti­rance pour l’autoportrait ?
Ce n’est pas mon visage que je vois dans le miroir, c’est la matière que je repré­sente ; comme un sculp­teur devant une motte de terre, mon ima­gi­na­tion vaga­bonde et il ne reste plus qu’à me jeter dans ce monde ima­gi­naire.

Quelles musiques écoutez-vous ?

Toutes les musiques. Cela peut aller de l’opéra à la variété… J’avoue… Je ne suis fan de per­sonne, je prends quand j’aime et ensuite je conti­nue mes découvertes..

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Cela serait men­tir d’en citer un… je n’aime pas relire un livre, j’ai besoin de mys­tère. Si je le connais… Je m ennuie.

Quel film vous fait pleu­rer ?

Beau­coup… Je pleure sou­vent… Je suis très bon public…

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une motte de terre que je vais triturer…

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
J’ose tout… Et je prends tous les risques, sinon je risque de pas­ser à côté de quelque choses de fort… et je ne veux rien rater !

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Babylone !!!!

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Fran­cis Bacon, Sou­tine, Zao Wou Ki, Bon­nard, Opalka, Dürer, Caba­nel, Spi­liaert, Rothko, Dela­croix, Cour­bet, Max Ernst, Miro, Jenny Saville, Louise Bour­geois, pour les peintres je pour­rais encore et encore en citer :-) tou­jours soif et tou­jours faim :-) ) pour les écri­vains, Dos­toïevski, Charles Dickens :-) Jona­than Lit­tle, Régis Jauf­fret, Hervé Gui­bert, Gabriel Gar­cia Mar­quez, Céline, Yachar Kemal… Richard Brau­ti­gan, les auteurs de romans poli­ciers et de science fic­tion… J’adore lire…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un billet aller-retour pour Vara­nasi :-)

Que défendez-vous ?
Tout ce qui doit être défendu, mon côté guer­rière :-)

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
… c’est beau­coup trop com­pli­qué d’aimer. L’amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas .. À quelqu’un qui n’en veut pas… ce qui vou­drait dire que l’amour est voué déses­pé­ré­ment à l’échec… Cette cita­tion est empoi­son­nante, Je m’y perds et j’ai un peu peur d’y res­ter .. :-)

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?
J’aime bien cette idée de répondre oui sans connaître la ques­tion… Les risques sont grands mais j’aime jouer et cela me convient tout à fait :-)

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Une autre pas­sion… je hume la vie, la terre et ces ter­riens. Je suis une reni­fleuse. Mais vous ne pou­viez pas le savoir… J’aime les odeurs… j’ai oublié de citer Sus­kind dans mes auteurs… L’odeur des che­veux, de la peau , de l’encre, des par­fums, j’aime l’odeur de la myrrhe, du pat­chouli, du cèdre… des tis­sus. Je renifle tout. Je pense être plus douée que mon chien :-)

Pré­sen­ta­tion et entre­tien par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, 10 novembre 2015.

2 Comments

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2 Responses to Avec une poignée de terre : entretien avec l’artiste Wendy Thibaudeau

  1. THIBAUDEAU,Marc

    Si papa te voie,je pense qu’il doit être fier de toi.bisous.

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