Véronique Bergen, Le cri de la poupée & Edie, La danse d’Icare

Etran­gères au paradis

Les gens s’amusent à dire qu’une hiron­delle fait le prin­temps, Véro­nique Ber­gen prouve le contraire par deux « auto­bio­gra­phies » apo­cryphes d’Unica Zurn et d’Edie Sed­wick. Le lec­teur com­prend très vite qu’il existe quelqu’un der­rière elles, quelqu’un qui tire le rideau de brume comme le fil bleu des hiron­delles.
Chez Edie Sed­wick, celui-ci s’appelle un père. Celle qui fut la reine des nuits new yor­kaises, prin­cesse de la Fac­tory, fut brû­lée par la démence d’un père richis­sime, cynique et psy­cho­pathe. Elle a hérité de son argent mais sur­tout — telle une nou­velle Zelda Fitz­ge­rald — de sa folie. Elle reste, plus que cette der­nière, une icône. Son his­toire fut racon­tée dans un superbe film indé­pen­dant, « Ciao ! Man­hat­tan » de John Pal­mer et David Weis­man ( dans ce film tes­ta­men­taire, au côté de Sed­wick, se retrouvent Allen Ging­sberg, Isa­bel Jewel, Baby Jano Holer, Chris­tian Mar­quand et Roger Vadim entre autres).

Véro­nique Ber­gen en reprend l’esprit en met­tant en paral­lèle et par l’écriture les moments de gloire de l’égérie et son inévi­table chute dévas­ta­trice (elle prit fin une semaine seule­ment après le tour­nage du film). Le man­ne­quin vedette s’est brû­lée le corps et le cer­veau dans une furie addic­tive sans limite. Chan­tée par le Vel­vet Unger­ground, Patti Smith, Lloyd Cole et bien d’autres, sa légende per­dure. Sed­wick reste le sym­bole de la contre-culture orches­trée par Warhol. Véro­nique Ber­gen montre à tra­vers elle le cynisme d’une société où, une fois de plus, la femme est man­gée par son image (étant réduite à elle). « Pour laver mon sang de des­cen­dante de psy­cho­tiques, je le noie dans la coke et l’héro, j’embarque ma ména­ge­rie autiste dans de fabu­leux shoots. Un speed­ball toutes les deux heures réus­sit à éclair­cir les idées caillées que mon père a dépo­sées en moi » dit la nar­ra­trice. Mais c’était peine per­due.
Dans l’éblouissement intense du lyrisme, Véro­nique Ber­gen évoque le ver­tige des abîmes de celle qui, per­due dans son dédale et sa soli­tude, ne pou­vait que se quit­ter, n’étant qu’une pas­sa­gère noyée de son étrange lumière noire comme une ombre clan­des­tine. Avec Unica Zurn, l’auteure conti­nue à don­ner voix aux chairs de per­son­na­li­tés fémi­nines brû­lantes et brû­lées. La créa­trice « décharge au fond des glottes une salve de mots-torpilles, de mots-arquebuses ». Tor­pillée par la nos­tal­gie, la poé­tesse ne put que « sar­cler le passé avec la herse du main­te­nant ». Vivant « l’oreille col­lée aux murs de son enfance »,  elle demeura inca­pable de réa­li­ser son rêve et ses ambi­tions en dépit d’une écri­ture à fleur de peau.

Véro­nique Ber­gen évoque le poids d’héritages  par les­quelles les femmes excep­tion­nelles ne peuvent être à la « bonne » place : celle qui leur don­ne­rait le droit d’être autant que ceux et celles qui les entou­raient. Ils ne com­prirent jamais que chaque ins­tant passé auprès d’elles deve­nait la preuve d’une tout autre vie et com­bien l’existence de telles femmes était des tra­gé­dies lourdes de cou­ronnes d’épines là où ils pen­saient « sim­ple­ment » par­ta­ger le royaume des fées.
V. Ber­gen révèle ainsi ce qui n’avait pas été dit. Elle ouvre l’arrière-pays d’un monde sur lequel Sed­wick et Zurn ne ces­sèrent de glis­ser. Les deux livres déter­minent la débâcle annon­cée, la dépense de vie lorsque plus rien n’est pos­sible mais que quelque chose avance encore selon la nudité irré­vo­cable d’un vide. Il ne pou­vait être com­blé, à l’image de la pis­cine à sec où Sed­wick finit par se terrer.

jean-paul gavard-perret

Véro­nique Ber­gen,  Al Dante, Paris, 2015.

- Edie, La danse d’Icare, 282 p.
- Le cri de la Pou­pée, 246 p.,

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