R. Seiter, L’Or du Rhin, t. 1 : « L’homme au masque de cuir » & t. 2 : « La flèche et le glaive »

Là où l’Histoire passe, le des­sin trépasse

Dès le tome 1 : « L’homme au masque de cuir », L’Or du Rhin est apparu comme une ambi­tieuse série his­to­rique et éso­té­rique. Uti­li­sant la contrée alsa­cienne comme déno­mi­na­teur com­mun, le scé­na­riste Roger Sei­ter a en effet prévu une série 6 tomes indé­pen­dants les uns des autres, tous unis autour du com­bat sécu­laire entre deux mys­té­rieuses confré­ries (l’une cel­tique, l’autre ger­ma­nique) entre le 1er et le XIXème siècle afin de faire main basse sur le mythique « or du rhin » qui pro­vien­drait d’un tré­sor gallo-romain (58 avant J.-C.) caché ou perdu en Alsace.
Le 1er tome d’exposition met en lumière la guerre civile entre Arma­gnacs et Bour­gui­gnons, juste après la guerre de Cent Ans, et sou­ligne un schisme méconnu de l’Eglise catho­lique, né en Bohême : le mou­ve­ment réfor­ma­teur hus­siste (du nom de son fon­da­teur Jan Hus) qui sera sévè­re­ment réprimé. Nous sommes en 1444 et Wal­ther Lurco, le héros de l’histoire, tente de rem­plir une mis­sion jadis confiée par son maître. Sa quête va le mener à un coffre rem­pli de pièces d’or antiques et qui devait ser­vir de sou­tien finan­cier à un mou­ve­ment qui, dès le milieu du XVème siècle, annonce les réformes pro­tes­tantes et l’exigence d’une plus grande jus­tice sociale.
Ce « thril­ler » his­to­rique à tra­vers les âges s’inscrit dans une veine proche du Da Vinci Code et pro­pose, pour la plus grande curio­sité du lec­teur, un por­tait magis­tra­le­ment docu­menté des mœurs de la période post-médiévale.

Histo­rien de for­ma­tion, Sei­ter déve­loppe en effet une réflexion sti­mu­lante, entre his­toire, fic­tion et éso­té­risme, sur ce légen­daire tré­sor datant de l’Antiquité, com­posé d’or, de bijoux et de manus­crits pré­cieux pro­ve­nant de la grande biblio­thèque d’Alexandrie — et qui n’a de com­mun que l’homonymie avec l’opéra en 4 actes L’Or du Rhin, de Richard Wag­ner. Dans chaque album se trouve ainsi un cahier annexe didac­tique de plu­sieurs pages (sur les mou­ve­ment hus­site dans le tome 1, sur les inva­sions bar­bares et Attila dans le tome 2) mais il nous semble, au vu de la com­plexité et de la richesse de ces notes his­to­riques que sa place devrait plu­tôt se situer à chaque fois en début qu’en fin de volume.

« La flèche et le glaive » nous pro­pulse en arrière dans le temps, en l’année 451 après J.-C., alors que l’armée d’Attila est au som­met de sa gloire. Une troupe de Huns, accom­pa­gnée de Goths, d’Alains et de Bur­gondes, menée par le chef Rugila, fait route vers la cité d’Argentoratum. Il semble alors que seul « L’Or du Rhin », le tré­sor d’Arioviste entre­posé dans un caveau secret de la ville et conservé depuis long­temps par une “société secrète”, peut sau­ver la cité en lui per­met­tant de sti­pen­dier des mer­ce­naires francs pour son secours.
Suite au pre­mier tome d’exposition, la “légende” de l’Or du Rhin se pré­cise ici tan­dis que nous décou­vrons les pro­ta­go­nistes des deux camps en pré­sence sur le point de se livrer bataille de même que la vie des peuples nomades ger­ma­niques. Là aussi le sus­pense et l’aventure sont au rendez-vous, le mixte d’Histoire et d’ésotérisme fonc­tion­nant parfaitement.

Un seul regret alors quant à cette saga, mais il est de taille : l’idéal aurait été d’un point de vue édi­to­rial, pour essai­mer ainsi la trame, le fond du récit au fil des siècles, que la forme, le gra­phisme demeure iden­tique, offrant ainsi un repère au lec­teur autre que le seul exo­tisme alsa­cien dans lequel baigne à pro­pos  L’Or du Rhin. Mais il n’en est rien, le des­si­na­teur du  pre­mier tome, Vincent Wag­ner, lais­sant place dans le sui­vant à Daniel Grzesz­kie­wicz, alias Gedeon. Or, les tech­niques qu’ils emploient sont aux anti­podes l’une de l’autre et, à vrai dire, ne servent pas le scé­na­rio de la plus esthé­tique des façons : le trait de Wag­ner, en crayon­nés mini­ma­listes, est sou­vent abrupt, comme non fini (les cou­leurs choi­sies man­quant de cha­leur) alors que Gedeon pro­pose un trait épou­van­ta­ble­ment gros­sier rigi­di­fiant de facto tous les per­son­nages, auréolé de cou­leurs fadasses avec des sil­houettes détou­rées du plus mau­vais effet : on n’a guère envie de ren­trer dans cette mau­vaise pein­ture appli­quée par larges couches et c’est dom­mage car l’histoire est de qua­lité.
Il serait de bon ton d’observer que, s’il est très bien que la bande des­si­née s’intellectualise et conquiert un nou­veau public en frayant la voie de la vul­ga­ri­sa­tion his­to­rique (fût-ce tein­tée de fic­tion), son socle reste tout de même le des­sin, qui doit empor­ter l’adhésion du lec­teur. Contrat qui, à nos yeux, n’est pas rem­pli ici.

fre­de­ric grolleau

L’Or du Rhin, Les Edi­tions du Long Bec :
— Roger Sei­ter &Vincent Wag­ner, tome 1 : « L’homme au masque de cuir », juin 2014

 Roger Sei­ter, Fran­çois Hoff & Gédéon, tome 2 :« La flèche et le glaive », sep­tembre 2015 — 14,75 €.

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