Fragments du discours photographique et filmique chez Roland Barthes
En 1980, avec La Chambre claire, Barthes inaugurait la collection qui lia un temps Gallimard et les Cahiers du cinéma. Jean Narboni revient non seulement sur ce livre pour l’analyser mais surtout pour remonter à l’origine de sa création et sur le travail de montage auquel il donna lieu. En particulier, sur l’agencement pièce par pièce des reproductions photographiques. A partir d’éléments inédits, Narboni propose deux approches. L’une est chronologique. Elle s’appuie sur la succession des chapitres et des heures du jour et de la nuit qui poussa Barthes sur la fin de sa vie à ce parcours dans l’image. Mais, par ailleurs, le critique crée un travail : théorique : il rapproche et oppose Roland Barthes (le « moderne ») et André Bazin (l’ancien ») sous le joug du cinéma et de la photographie. Il montre combien la relation du Barthes au cinéma — entre autres avec son concept de “filmique” (en gros, ce qui apparaît en propre eu cinéma) et son “image mouvement” (Deleuze) — a bougé tout au long de la vie de Barthes.
Le livre est donc moins un texte critique qu’une « photographie » originale sur la traversée de la pensée et de l’écriture effectuées dans La Chambre claire. Il montre en particulier comment, chez Barthes, entre l’image qui remue et celle qui est fixe se crée pour lui une inséparabilité. Ce que Barthes nomme « le filmique » peut en effet s’appliquer à la photographie puisque, selon l’auteur, la qualité « pure » de l’image cinématographique échappe aux dialogues, à la bande son. Il y a donc peu de différence pour Barthes entre ces deux images. Preuve toutefois que le sémiologue restait, malgré tout, peu à l’aise avec la nature de l’image, en dépit de ses efforts consentis pour lui accorder la validité intrinsèque de sa structure même.
Certes, il cherche à montrer ce que Didi-Huberman souligne : «l’image la plus simple n’est pas une simple image ». Mais la fragmentation du discours de base ressemble parfois plus à des déchets qu’à des propositions pertinentes. Demeure chez Barthes une sorte de « rigidité » dont l’humour est proscrit mais non ce qui ressemble parfois à une certaine condescendance. La construction scénographique, les processus de prise de vue, de cadrage et de montage restent pour lui une expérience qu’il a du mal à appréhender et qui deviennent pour le sémiologue une expérience des limites.
Il ne pouvait encore explorer le concept de Gilles Deleuze de “déterritorialisation”. Reste pour Barthes, dans l’image, une vision magique du monde dont il cherche des clés pour en montrer autant la poésie que les trucages et les chausse-trappes, non sans une naïve sincérité.
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jean-paul gavard-perret
Jean Narboni, La nuit sera noire et blanche, Capricci, Paris, 2015, 17,00 €.