Entretien avec Laurent Gazeau (librairies-éditions les Trois Épis )

L’enseigne des Trois Épis est née à Brive en 1947 et regroupe aujourd’hui trois librai­ries, une entre­prise de dif­fu­sion, et une struc­ture éditoriale

 L’enseigne des Trois Épis existe à Brive depuis 1947, année où trois anciens résis­tants fon­dèrent, sous ce label, une librai­rie. Ce motif agri­cole, sym­bole de fécon­dité et de pros­pé­rité, se réfère sans doute au bla­son de la ville, qui com­porte trois fois trois épis ; peut-être, aussi, désigne-t-il les trois fon­da­teurs, ainsi iden­ti­fiés à leur ville ? à moins qu’il ne faille y voir un signe maçon­nique… Tou­jours est-il que, sous l’impulsion de la famille Gazeau, les Trois Épis sont deve­nus gerbe — et quelle gerbe : cette enseigne regroupe aujourd’hui trois librai­ries — à Brive, Gué­ret et Car­cas­sonne — une entre­prise de dif­fu­sion, et une struc­ture édi­to­riale indé­pen­dante en cours de struc­tu­ra­tion.
Nous avons ren­con­tré Laurent Gazeau qui, ayant pris la suc­ces­sion de son père au décès de celui-ci, a parmi ses prio­ri­tés immé­diates de don­ner un nou­vel essor au sec­teur stric­te­ment édi­to­rial. Il par­ti­cipe aussi très acti­ve­ment à l’organisation de la Foire du Livre de Brive, dont la noto­riété n’a cessé de croître depuis sa nais­sance. Laurent Gazeau est un libraire et un édi­teur d’une extrême luci­dité éco­no­mique, mais qui a su conser­ver intacte sa pas­sion du livre. Et autant vous dire qu’elle est communicative !

 

Com­ment, de libraire, êtes-vous devenu édi­teur ?
En ce qui me concerne, on peut dire que le métier de libraire est chro­mo­so­mique : mes parents sont deve­nus libraires sur le tard, en 1977, et je les ai rejoints en 1995 après avoir fait bien d’autres choses pen­dant dix ans. C’est un choix per­son­nel, que mes parents n’ont à aucun moment télé­guidé ; un choix que m’a dicté ma pas­sion du livre. Pour ce qui est de l’édition, mon père a créé cette acti­vité en 1993 à la suite d’une demande récur­rente de la clien­tèle : cer­tains de nos clients déplo­raient le manque de beaux livres consa­crés à notre région, le Limou­sin, qui pâtit du voi­si­nage d’autres régions plus tou­ris­tiques comme le Quercy ou le Péri­gord, et reste un peu en marge. Il a donc eu l’idée de réa­li­ser lui-même un ouvrage qui répon­drait à cette demande en sol­li­ci­tant les auteurs de l’École de Brive pour les textes, et l’un des employés de la librai­rie, pho­to­graphe de for­ma­tion, pour la par­tie ico­no­gra­phique. Ainsi est né un album inti­tulé Balade en Cor­rèze, dont le texte est signé Michel Pey­ra­maure. Ce fut la pre­mière aven­ture. Le livre s’est plu­tôt bien vendu, et dès lors, la Cor­rèze a appelé le Lot, le Lot a appelé la Creuse, la Creuse la Haute-Vienne et ainsi de suite…
De 1993 à 2001 s’est donc déve­loppé petit à petit un cata­logue de beaux livres à carac­tère régio­na­liste qui ont assez bien mar­ché, et à par­tir de là nous avons com­mencé à nous lan­cer dans l’édition de romans mais sans avoir de ligne édi­to­riale pré­dé­ter­mi­née ; il est tou­te­fois patent que nos choix étaient plus ou moins moti­vés par ce que nous pou­vions obser­ver des habi­tudes de lec­ture de notre clien­tèle, issue en grande par­tie d’un milieu plu­tôt rural. Nous avons donc publié, dans un pre­mier temps, des romans dit “de ter­roir”. Aujourd’hui, notre pro­duc­tion s’ouvre à d’autres genres comme le poli­cier, le roman contem­po­rain, le fantastique…etc. Nous tra­vaillons beau­coup sur ce créneau-là ainsi que sur la publi­ca­tion de docu­ments régio­na­listes.
Mais nous avons pour ainsi dire aban­donné le domaine du “beau livre” depuis 2001 : c’est un sec­teur où il est de plus en plus dif­fi­cile de trou­ver un équi­libre éco­no­mique, compte tenu d’une part des coûts de fabri­ca­tion très éle­vés, et d’autre part des risques d’échecs en termes de vente. Les gens sont de moins en moins dis­po­sés à inves­tir plus de 45 euros dans l’achat d’un livre mais en même temps, lorsqu’ils pensent “beau livre”, ils ont en tête La Terre vue du ciel de Yann Arthus-Bertrand… et ce type d’ouvrage coûte cher à la fabri­ca­tion. Or si on pro­pose un ouvrage de moindre prix, mais qui sera plus petit, ou moins riche en images, on risque fort de ne pas vendre le livre en ques­tion. Il faut dire aussi qu’en pre­nant la suite de mon père, qui est décédé en 2001, j’ai décidé de déve­lop­per cette acti­vité d’éditeur, de publier plus de titres — et donc de me concen­trer plus par­ti­cu­liè­re­ment sur le domaine du roman. Tou­jours sans adop­ter de ligne édi­to­riale pré­dé­fi­nie : notre cata­logue n’a d’autre unité que d’être consti­tué par des auteurs “de chez nous” qui, en dehors de cet ancrage régio­nal, n’ont pas grand-chose en com­mun. On publie ce qui nous plaît et qu’on estime bon pour la publi­ca­tion, tous genres confon­dus. Ainsi, cette année, nous avons sorti deux romans poli­ciers et le pre­mier tome d’une saga fan­tas­tique écrite par un pro­fes­seur d’histoire-géographie du Can­tal…
À par­tir de sep­tembre nous allons sépa­rer le sec­teur édi­to­rial de notre acti­vité de vente et créer une véri­table struc­ture d’édition sous le label Les 3 Épis, avec une res­pon­sable édi­to­riale, un maquet­tiste qui réa­li­sera les maquettes et les cou­ver­tures et, si tout se passe bien, à par­tir de février 2005, il y aura un troi­sième inter­lo­cu­teur qui sera chargé d’assurer la pro­mo­tion de nos livres et leur réfé­ren­ce­ment auprès des librai­ries de pre­mier niveau et des grandes enseignes que nous connaissons.

 

Donc si je vous ai bien suivi, vous fonc­tion­nez au coup de cœur par rap­port aux manus­crits que vous rece­vez ?
Tota­le­ment au coup de cœur. Nous rece­vons beau­coup de manus­crits… On pro­cède à un pre­mier tri, for­cé­ment aléa­toire et frus­trant pour tout le monde, à l’issue duquel les textes qui paraissent inté­res­sants tant dans la forme que dans le contenu sont sou­mis à un comité de lec­ture — à géo­mé­trie variable si je puis dire, mais qui com­porte un noyau dur de 6 gros lec­teurs qui acceptent de lire les manus­crits. Ils font des fiches de syn­thèse et d’analyse assez fac­tuelles, qui n’entrent pas dans l’appréciation même. Si le manus­crit passe ce cap, l’intégralité du comité de lec­ture le lit, et s’il ne sus­cite aucun refus motivé, il gagnera le droit d’être publié. La seule res­tric­tion que nous nous impo­sons est de ne pas rete­nir les textes que nous serions inca­pables de vendre ; nous assu­rons en effet nous-mêmes la dif­fu­sion de nos livres, par nos propres moyens com­mer­ciaux, et nous avons donc nos limites. Or c’est tout de même la vente qui fait exis­ter un livre. Pour le moment sont donc exclus de nos sélec­tions les ouvrages de jeu­nesse — mais je pense que c’est un sec­teur qui s’ouvrira sans tar­der, dès qu’on aura pris confiance en nous — ainsi que les ouvrages de poé­sie et de théâtre, qui ont des ventes plus confi­den­tielles et qui sont beau­coup plus dif­fi­ciles à pro­mou­voir. Mais là encore, je pense que ce type d’ouvrages pourra s’ajouter à notre cata­logue dès lors qu’on aura un inter­lo­cu­teur capable d’aller pro­mou­voir ces petits chefs-d’œuvre auprès des librai­ries de pre­mier niveau hors de notre région.

 

Quels sont vos rap­ports avec les libraires en ligne comme ama­zon ou ala­page ?
Pour le moment, je m’efforce sim­ple­ment d’être réfé­rencé chez eux ; ce sont des bases de consul­ta­tion qui sont deve­nues très impor­tantes, et grâce à ce réfé­ren­ce­ment, nous rece­vons régu­liè­re­ment des com­mandes éma­nant de libraires de toutes tailles, situés un peu par­tout en France. Mais faute de rela­tions régu­lières avec ces struc­tures, nous ne par­ve­nons pas vrai­ment à leur pré­sen­ter l’ensemble de notre cata­logue, ni à leur pro­po­ser les autres titres d’un auteur dont ils ont un ouvrage en réfé­rence. Tant que nous ne serons pas en mesure de pro­mou­voir acti­ve­ment nos titres auprès de ces entre­prises, je pense que nous n’avons pas grand-chose à attendre de la vente en ligne. Mais, bien sûr, figu­rer dans les listes d’amazon ou ala­page nous per­met d’avoir une vitrine beau­coup plus vaste que celle offerte par nos points de vente ou ceux de nos clients que nous four­nis­sons en tant que grossistes.

 

Les édi­tions Les 3 Épis ont-elles un site inter­net ?
C’est en cours de déve­lop­pe­ment. Aujourd’hui nous avons un intra­net mais c’est un site pro­fes­sion­nel –com­pli­qué, peu acces­sible, et qui n’a rien de convi­vial. Nous l’utilisons en tant que gros­sistes pour com­mu­ni­quer avec nos clients détaillants qui sont prin­ci­pa­le­ment les mai­sons de presse. Mais je pense que ce site va évo­luer dans les mois qui viennent : pour l’ouvrir au grand public, nous devons le rendre plus attrac­tif, et sur­tout plus facile d’accès. Ce sera sur­tout, selon toute pro­ba­bi­lité, une vitrine des­ti­née à mettre en valeur nos propres pro­duc­tions, et je doute que ce site à venir per­mette l’achat en ligne — du moins dans l’immédiat.

 

Aujourd’hui, com­bien avez-vous de titres à votre cata­logue ?
34. Il y en aura cinq de plus au mois de sep­tembre, et six encore au mois d’octobre pour la foire du livre de Brive qui aura lieu les 5, 6 et 7 novembre. Nous aurons donc 45 titres au total, dont une ving­taine de romans. Et je pense qu’avec l’instauration pro­chaine d’une véri­table struc­ture édi­to­riale on devrait accroître encore notre rythme de publi­ca­tion l’année pro­chaine, tout en essayant de gar­der notre phi­lo­so­phie. Nous allons aussi créer une col­lec­tion de poche vers le mois de mars 2005 pour une mise en place chez nos clients aux alen­tours des vacances de Pâques. Une ving­taine de titres des 3 Épis sor­ti­ront dans cette col­lec­tion. J’espère qu’on pourra pour­suivre ce déve­lop­pe­ment grâce à cette struc­ture pro­pre­ment édi­to­riale, mais à condi­tion de gar­der la maî­trise de ce qu’on publie. Notre ambi­tion n’est pas de “faire des coups” mais de nous ins­crire dans la durée. 

 

Onze titres en sep­tembre et octobre… vous jouez à fond la carte de la ren­trée lit­té­raire !
Oui et non… en fait nous n’avons pas cher­ché à nous caler sur la ren­trée lit­té­raire : ce cumul de paru­tions — sur sep­tembre — résulte de retards suc­ces­sifs… sur les cinq ouvrages à paraître, trois auraient dû être publiés beau­coup plus tôt, mais nous avons pré­féré lais­ser pas­ser la période esti­vale, plu­tôt pro­pice pour­tant à la vente de nos titres, et consa­crer tout le temps voulu au choix des cou­ver­tures et à la relec­ture des textes. On a choisi de “s’asseoir” sur les pers­pec­tives de vente de l’été et de repous­ser les paru­tions sur sep­tembre. Quant aux six ouvrages pla­ni­fiés sur octobre, ils étaient bien pré­vus pour cette période, c’est-à-dire juste avant la foire du livre de Brive. Nous tenons tout par­ti­cu­liè­re­ment à les pré­sen­ter à cette foire, qui repré­sente la meilleure oppor­tu­nité d’amener nos auteurs à ren­con­trer leurs lec­teurs. De plus, notre librai­rie est une enseigne impor­tante sur la place de Brive, et nous par­ti­ci­pons à l’organisation de la foire du livre.

 

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Et en tant que libraire, com­ment vivez-vous cette ren­trée lit­té­raire ? à quoi cor­res­pond ce concept de “ren­trée lit­té­raire” selon vous ?
La “ren­trée lit­té­raire” cor­res­pond à un moment où l’on achète des livres — et ça c’est impor­tant. Pour­quoi ? eh bien jus­te­ment parce que les vacances sont ter­mi­nées : on va moins bou­ger, moins sor­tir… le bud­get pour se mou­voir et se dis­traire a été consi­dé­ra­ble­ment réduit après le prin­temps et les vacances esti­vales ; on a davan­tage envie de res­ter chez soi… et donc tra­di­tion­nel­le­ment c’est une période où on va ache­ter davan­tage de livres. Les ventes de librai­rie se font à peu près pour deux tiers sur le second semestre d’une année et pour un tiers sur le pre­mier semestre, ce qui repré­sente tout de même une sai­son­na­lité assez mar­quée.
Cela dit, du point de vue de l’aménagement des rayons, cette ren­trée 2004 sera aussi dépri­mante qu’une autre : elle va don­ner lieu comme d’habitude à une ava­lanche par­ti­cu­liè­re­ment dévas­ta­trice de titres… cette tor­nade blanche dans les rayons est une véri­table catas­trophe… je trouve qu’aujourd’hui on publie beau­coup trop de nou­veau­tés et comme les rayons des libraires ne sont pas exten­sibles on finit par gérer les stocks en fonc­tion de la date du dépôt légal et non plus en fonc­tion des auteurs ou de l’intérêt des sujets abor­dés. Outre l’abondance de nou­veau­tés, nous sommes aussi vic­times des pres­sions publi­ci­taires impo­sées par les grosses mai­sons : le bat­tage média­tique incite les gens à deman­der ces titres lar­ge­ment pro­mus par voie de presse ou par la télé ; or nous nous devons de satis­faire nos clients — donc d’avoir ces livres en devan­ture et d’en pos­sé­der un stock suf­fi­sant. Ce qui signi­fie relé­guer à l’arrière-plan d’autres ouvrages peut-être plus inté­res­sants mais qui ne seront pas deman­dés faute de publi­cité. C’est là une logique mathé­ma­tique à laquelle on ne peut pas cou­per — et qui est ter­ri­ble­ment frus­trante pour le res­pon­sable de rayon qui aime à choi­sir ses livres, ceux qu’il va mettre en avant et pro­po­ser à ses clients. Parce qu’avec ce renou­vel­le­ment trop rapide, un livre cesse d’exister dès lors qu’il n’est plus pré­sent phy­si­que­ment dans un rayon. Or un ouvrage jugé de qua­lité lors de sa sor­tie conti­nue d’être bon six mois plus tard… mais il ne nous est plus pos­sible de le main­te­nir en rayon aussi long­temps. On voit donc que le métier de libraire relève d’une ges­tion de plus en plus déli­cate. Pour conti­nuer d’exister demain, une librai­rie devra jouir de l’espace néces­saire pour jouer sur deux tableaux : d’une part ins­tal­ler la grosse cava­le­rie de ces ouvrages que va lui deman­der le grand public, et d’autre part gar­der en fonds ces livres moins cou­rus des clients mais que le libraire s’efforcera de leur faire décou­vrir en leur pro­di­guant ses conseils. Le rôle du libraire, c’est aussi d’émerveiller sa clien­tèle en lui ouvrant les portes d’une lit­té­ra­ture moins pré-mâchée et plus enthou­sias­mante, mais il faut avoir les moyens de jouer ce rôle, et c’est loin d’être évident.

 

Pensez-vous qu’un édi­teur peut se per­mettre de ne pas tenir compte de cette échéance de la “ren­trée lit­té­raire” ?
Non, parce qu’il a obli­ga­tion de faire vivre éco­no­mi­que­ment sa struc­ture ; il est obligé, à un moment ou à un autre, de “faire du chiffre”. C’est là toute la dif­fi­culté du monde du livre : on ne peut pas se déta­cher com­plè­te­ment des réa­li­tés éco­no­miques mais il faut aussi se battre pour pro­mou­voir la culture, ce qu’on a appelé de façon un peu gal­vau­dée “l’exception fran­çaise”. Entre le cœur et l’économie, il y a un équi­libre à trou­ver qui est tou­jours très frus­trant : quand on pri­vi­lé­gie l’économique le cultu­rel s’appauvrit, et quand on pri­vi­lé­gie le cultu­rel sou­vent l’économique ne suit pas. Mais il y a beau­coup d’expériences, même dans les petites struc­tures, qui démontrent qu’à l’évidence le com­bat est loin d’être perdu. Et si je m’en réfère aux sta­tis­tiques, il y a une dizaine d’années on pré­di­sait la mort du livre, enterré par les e-books entre autres mais il semble que la consom­ma­tion — ce terme n’est peut-être pas le mieux adapté… — de livres se main­tienne mal­gré la télé­vi­sion et les nou­veaux outils de com­mu­ni­ca­tion. Cela veut donc dire que le mar­ché se recom­pose — pas tou­jours en faveur du cultu­rel mais il y a quand même des gens qui lisent, qui viennent à la lec­ture. Et peu importe, au fond, que les gens soient ame­nés à la lec­ture par le biais d’ouvrages très com­mer­ciaux : cela signi­fie que plus tard, ils seront à même de s’ouvrir à d’autres choses, l’essentiel étant que leur soif de décou­verte trouve tou­jours à s’étancher.

 

Venons-en à la Foire de Brive. Depuis com­bien de temps existe-t-elle ? Quelles sont les grandes lignes de son his­toire ?
On finit par ne plus savoir vrai­ment ! Je crois que ça fait 21 ou 22 ans que la foire existe. Il y a eu au départ la volonté de créer un salon du livre pro­vin­cial qui aurait été un vrai rendez-vous cultu­rel en mesure de répondre au Salon du livre de Paris. Mais les pre­mières ini­tia­tives n’ont pas eu l’écho escompté : les orga­ni­sa­teurs avaient ten­dance à avoir des orien­ta­tions trop poin­tues, peu sus­cep­tibles d’intéresser le grand public. Mon père a alors sou­li­gné la néces­sité de revoir ces options : si l’on vou­lait que ce rendez-vous conti­nue d’exister dans la durée, il fal­lait dépas­ser la seule satis­fac­tion de réunir un pla­teau de qua­lité et s’efforcer d’attirer un public beau­coup plus large. D’où l’idée d’appeler la mani­fes­ta­tion “foire” et non plus “salon”, terme qui, par sa conno­ta­tion intel­lec­tuelle, peut rebu­ter les gens qui se sentent loin du livre et de la vie cultu­relle. On a voulu démys­ti­fier le livre : ce rendez-vous lit­té­raire a donc lieu dans un foi­rail, avec un mar­ché autour. L’accès en est ainsi faci­lité.
En ce qui concerne l’organisation, elle repose d’abord sur l’ensemble des libraires de la ville, puis sur une asso­cia­tion de béné­voles très active, les Amis du livre, qui prennent en charge l’intendance et la com­mu­ni­ca­tion avec l’aide de la muni­ci­pa­lité de Brive, qui joue le jeu depuis le départ. Je tiens à sou­li­gner, car c’est très impor­tant, que l’implication de chaque libraire dans la pré­pa­ra­tion de cette foire est totale, et sans faille. Mais cha­cun, depuis le relais de la gare jusqu’à la mai­son de la presse en pas­sant par les petits et les moyens libraires, agit au sein d’un col­lec­tif : nous sommes “libraires par­ti­ci­pant à la Foire du livre de Brive” et aucune de nos enseignes n’est visible pen­dant la mani­fes­ta­tion. Nous tra­vaillons tous d’un com­mun accord, sans dif­fi­cul­tés, sans fric­tions ni jalou­sies. Notre façon de pro­cé­der est très simple : chaque libraire a une liste d’éditeurs à contac­ter afin de com­man­der les livres et de faire le point sur les auteurs qui pour­ront être pré­sents ; à charge pour lui d’assurer le suivi logis­tique, depuis la prise de contact avec les mai­sons d’édition jusqu’à la vente des livres au moment de la foire. Notre grande force, c’est notre enthou­siasme et notre soli­da­rité. Si bien qu’au bout d’une ving­taine d’années d’existence — et après avoir connu beau­coup de concur­rence à un moment donné - notre Foire est la seule mani­fes­ta­tion de cette enver­gure qui, en dehors du Salon du livre de Paris et de la Fête du livre de Saint-Étienne, tienne dans la durée.

 

S’agit-il d’une foire géné­ra­liste, comme le Salon de Paris, ou bien le régio­na­lisme a-t-il une part pré­pon­dé­rante ?
C’est très géné­ra­liste. Au début il y a eu bien sûr une impul­sion locale autour de l’École de Brive nais­sante — une com­mu­nauté d’auteurs de la région qui n’ont pas grand-chose en com­mun sinon d’être publiés par la même mai­son, à savoir les Édi­tions Robert Laf­font. Ces auteurs ont été le moteur du suc­cès de cette foire : étant connus loca­le­ment, ils ont drainé tout un public qui atten­dait leurs ouvrages, qui était heu­reux de pou­voir les ren­con­trer, leur par­ler.
Mais aujourd’hui c’est une foire très grand public, dont le parent pauvre est peut-être ce qui est très lit­té­raire, ce qui est cata­lo­gué par les libraires comme étant “très pari­sien”… et là c’est un peu l’antagonisme entre pro­vince et Paris qui res­sort mais c’est, à mon sens, une fausse riva­lité… qui vient peut-être de la frus­tra­tion que peut éprou­ver, lors de cette foire, un écri­vain émé­rite comme Franz-Olivier Gies­bert qui, assis à côté d’un auteur de l’École de Brive, fera moins de signa­tures que ce der­nier parce qu’il sera moins attendu que l’écrivain bri­viste qui vient de sor­tir sa nou­veauté. C’est un peu le retour en gloire de la pro­vince sur Paris, mais une fois le salon ter­miné, cha­cun reprend sa place.

 

Pour l’édition 2004, com­ment se pré­sentent les choses ? Vous pour­riez m’en don­ner un petit avant-goût ?
Pas vrai­ment parce qu’il est aujourd’hui trop tôt encore pour savoir quel sera le pla­teau. Ce n’est qu’à par­tir de sep­tembre qu’on se rap­proche des mai­sons d’édition ; en fonc­tion des sor­ties de la ren­trée on voit avec chaque édi­teur quels sont les auteurs qui seront dis­po­nibles et que l’on pourra invi­ter. Et là il faut tenir compte de plu­sieurs fac­teurs : d’abord les titres que les édi­teurs sou­haitent pro­mou­voir — soit qu’ils veuillent lan­cer un jeune auteur, ou bien mettre en vedette un auteur confirmé qui aura réa­lisé de bonnes ventes. Et ensuite, il faut com­po­ser avec la per­son­na­lité des auteurs : cer­tains aiment le contact avec leurs lec­teurs et se rendent volon­tiers sur ce genre de foire, d’autres au contraire, plus intro­ver­tis, se satis­font de ne tou­cher les gens qu’à tra­vers leurs livres. En fonc­tion de tout cela, on se concerte avec les édi­teurs de manière à réunir le plus beau pla­teau pos­sible — qui com­men­cera à prendre sa tour­nure défi­ni­tive vers la fin du mois d’octobre.

 

En dehors des signa­tures, y a-t-il d’autres ani­ma­tions telles que confé­rences, tables rondes… etc. ?
Oui. Pen­dant toute la durée de la foire — trois jours — il y a toute une série de col­loques et de tables rondes thé­ma­tiques relayés par la radio (France Inter et RTL) et coor­don­nés par des ani­ma­teurs radio ou par des essayistes très poin­tus spé­cia­listes des sujets abor­dés. En fait, ce type d’animation, dont le dérou­le­ment s’est consi­dé­ra­ble­ment struc­turé depuis trois ans, a été amené par les médias — notam­ment la radio — qui sou­hai­taient rendre l’événement plus vivant. Les libraires ont d’abord eu quelques dif­fi­cul­tés à accep­ter ce genre de démarche parce qu’ils ne voyaient pas ce que cela pou­vait appor­ter sur le plan com­mer­cial. Mais l’on se rend compte aujourd’hui que déve­lop­per ces col­loques, ces tables rondes per­met jus­te­ment de don­ner une autre dimen­sion à la foire et d’éviter qu’elle se réduise à un ali­gne­ment d’auteurs der­rière des tables, avec des piles de livres autour.

 

J’imagine que dès l’édition 2004 ter­mi­née, vous com­men­ce­rez à plan­cher sur la pro­chaine ?
Non, pas exac­te­ment ; quand on referme la mani­fes­ta­tion, on essaie d’abord, et de plus en plus, d’analyser à chaud nos impres­sions, celles du public et des dif­fé­rents inter­ve­nants. On pro­cède aussi à un débrie­fing concer­nant ce qui est bon, ce qui ne l’est pas, ce qu’il faut amé­lio­rer ou pros­crire… tout cela — sauf la comp­ta­bi­lité — va demeu­rer en som­meil jusqu’au prin­temps. À ce moment-là, on com­mence à se réunir pour déter­mi­ner pré­ci­sé­ment ce que l’on va chan­ger ou lais­ser en l’état, et com­ment on peut le mettre en œuvre sur le plan pra­tique — on se concentre, par exemple, sur l’emplacement et la dis­po­si­tion des stands, l’agrandissement de la sur­face dis­po­nible, la répar­ti­tion des édi­teurs… etc. Une fois qu’on est à peu près d’accord sur ces questions-là et que les bud­gets sont calés, chaque inter­ve­nant sait ce qu’il aura à faire — il y a tout de même 20 ans d’expérience der­rière ! –et cha­cun part un peu en vacances. Vient ensuite la pré­pa­ra­tion du pla­teau, qui com­mence fin août début sep­tembre. Puis les choses s’enchaînent presque auto­ma­ti­que­ment… Et puis on s’entraide beau­coup ; en cas de dif­fi­culté, cha­cun sait qu’il peut appe­ler ses confrères.

 

Y a-t-il un site inter­net dédié à la foire de Brive ?
Oui, mais il n’est pas bon, et sur­tout, il n’est pas à jour ! je crois qu’actuellement, il ne com­porte pas le moindre élé­ment concer­nant l’édition 2004 alors que l’on connaît déjà les dates, par exemple, et quelques autres don­nées que l’on pour­rait y faire figu­rer. Je pense que ce manque vient de ce qu’Internet a été d’emblée perçu comme une vitrine un peu super­flue pour une mani­fes­ta­tion qui repose sur le contact direct, la ren­contre, le dia­logue, l’échange. Nous n’avons pris conscience de l’importance du réseau inter­net — tant pour les auteurs que pour les édi­teurs, sur­tout pour ceux qui ne sont pas de la région — qu’il y a deux ans, mais nous n’avons pas encore réussi à mettre en place une véri­table stra­té­gie de com­mu­ni­ca­tion sur ce réseau-là. Nous allons bien sûr tra­vailler à l’amélioration du site, mais j’ai le sen­ti­ment que cette année encore il sera fait de rac­crocs, ni très attrayant, ni très convi­vial. Par contre, tout devrait être en place pour 2005.

 

NB - Pour faire connais­sance avec le cata­logue des 3 Épis, aventurez-vous dans le pays de Louis le Galoup, ou essayez de trou­ver quelque Repos sur l’autoroute. Ce sont d’agréables heures de lec­ture qui vous attendent…

 

   
 

Pro­pos recueillis par isa­belle roche le 16 août 2004 dans les locaux de la rue Lecornu.

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