Entretien avec Ayerdhal (Transparences)

Ayer­dhal signait il y a peu son pre­mier thril­ler, Trans­pa­rences. Il livre à Ana­bel Delage quelques aspects de ce livre et de son oeuvre


Ayer­dhal, connu jusqu’à main­te­nant pour ses romans de SF, signait il y a peu son pre­mier thril­ler, Trans­pa­rences. Mâtiné d’espionnage et aussi de fan­tas­tique avec un per­son­nage de tueuse en série dotée de l’étrange pou­voir de se rendre trans­pa­rente, cet épais roman de 550 pages est bien plus qu’une intrigue com­plexe impec­ca­ble­ment menée : sont ques­tion­nées au pas­sage nombre d’horreurs qui ont rem­pli le siècle pré­cé­dent, et chaque lec­teur se devrait d’intégrer à son temps de lec­ture celui de la réflexion.
Trans­pa­rences méri­tait bien que notre rédac­trice Ana­bel Delage inter­roge l’auteur sur quelques aspects de ce livre et de l’ensemble de son oeuvre…

Parlez-nous de la genèse de votre ouvrage Trans­pa­rences
Ayer­dhal :
Trans­pa­rences est né de la lec­ture d’une série de romans de Roland Wag­ner, Les Futurs mys­tères de Paris, dans laquelle il a créé un per­son­nage qui s’appelle Tem, dimi­nu­tif de “Temple Sacré de l’Aube Radieuse”. Tem est un per­son­nage trans­pa­rent, c’est-à-dire qu’on le voit tel­le­ment peu qu’il est obligé de por­ter un cha­peau vert fluo pour que les gens le remarquent. Ceci lui pose de sérieux pro­blèmes. Dès que j’ai lu la série, j’ai eu envie de créer un per­son­nage dans un uni­vers contem­po­rain, dont la trans­pa­rence ne serait pas le pro­blème mais pour qui ce serait plu­tôt un atout.

Il y a un thème récur­rent, dans votre oeuvre, qui semble très impor­tant pour vous : celui de la quête d’identité.
Je ne sais pas si l’on peut par­ler de quête de l’identité, mais assu­ré­ment d’une recherche de posi­tion­ne­ment de l’individu dans la société. Géné­ra­le­ment, je mets en scène des indi­vi­dus aso­ciaux, ce qui est d’autant plus cocasse et d’autant plus ban­cal qu’ils tra­versent ou subissent des situa­tions sou­vent épou­van­tables ou extraordinaires.

Un autre thème revient, celui de l’équilibre — sur­tout si on met Trans­pa­rences en paral­lèle avec Étoiles Mou­rantes, ouvrage que vous avez co-écrit avec Jean-Claude Dunyach. Que pouvez-vous en dire ?
Dans Étoiles Mortes, qui pré­cède Étoiles Mou­rantes, Jean-Claude Dunyach met­tait en scène un artiste qui construi­sait des équi­libres impos­sibles, faits pour durer un cer­tain temps et s’effondrer d’un seul coup. C’est une vision de l’art assez sym­bo­lique qui en fait quelque chose de tem­po­rel. Quand nous avons tra­vaillé sur Étoiles Mou­rantes nous avons essayé de repro­duire cette notion d’équilibre instable à l’échelle d’un uni­vers com­plet et, plus exac­te­ment, de quatre ou cinq civi­li­sa­tions. Ce n’est jamais que le prin­cipe de l’entropie. L’évolution met un terme défi­ni­tif à l’état qui pré­cède le changement.

C’est se qu’on se dit quand on referme votre der­nier roman, et qu’on regarde le par­cours de Ste­phen…
Les deux per­son­nages prin­ci­paux, Ste­phen et Ann X, se croisent d’un point de vue, celui du tem­pé­ra­ment. Au départ, Ste­phen, est quelqu’un qui est pétri de cer­ti­tudes, pour qui l’univers fonc­tionne très rond, où tout est équi­li­bré, tout est simple, tout est facile. Ann X c’est exac­te­ment le contraire. Leurs des­ti­nées, la façon dont ils se ren­contrent ou dont ils ne se ren­contrent pas les amènent à s’inverser ; l’une se découvre une forte envie d’équilibre, l’autre cherche une insta­bi­lité qui le mette dans une situa­tion d’inconfort. C’est en ce sens que leurs des­tins se croisent : l’un va se décons­truire pen­dant que l’autre va s’inventer une sta­bi­lité. Au bout du compte, la quête de l’individualité chez l’un comme chez l’autre les amène à prendre conscience de cer­tains vides dans le sys­tème et, sur­tout, dans leurs sys­tèmes per­son­nels. Ils vont donc évo­luer l’un par rap­port à l’autre, sans se croi­ser vrai­ment et sans par­ve­nir à éta­blir réel­le­ment de relation.

Pour­quoi avoir créé des per­son­nages qui soient anti­pa­thiques pour le lec­teur, aux­quels il ne peut — et sur­tout ne veut pas — s’identifier ?
Je vou­lais être vrai. N’ayant per­son­nel­le­ment aucune affi­nité avec les flics et les tueurs en série, je n’ai pas eu de dif­fi­culté pour les décrire comme je les res­sen­tais. Néan­moins, il était hors de ques­tion de juger et encore moins de condam­ner les uns ou les autres. Il s’agissait au contraire de mon­trer, non pas les méca­nismes de la rédemp­tion, en tout cas pas au sens chré­tien du terme, mais le droit qu’a cha­cun d’avoir une exis­tence, de por­ter un passé et d’être aujourd’hui tout à fait quelqu’un d’autre. Cesare Bat­tisti en est un excellent exemple. De quel droit jugerait-on des actes qui ont quinze, vingt ou vingt-cinq ans sans tenir compte de ce que la per­sonne qui les a com­mis est deve­nue ? Com­ment peut-on condam­ner quelqu’un sur la foi de ce qu’on le sup­pose avoir été ? Ceci dit, même si Ann X qui évo­lue petit à petit en se débar­ras­sant de ses pho­bies, de ses dou­leurs et de ses névroses, cesse d’être une tueuse psy­cho­pathe, elle conti­nue à tuer. Il arrive sim­ple­ment un moment où même un lec­teur ron­chon com­mence à l’apprécier et finit par fran­che­ment la com­prendre… c’est très vice­lard de la part de l’auteur d’avoir fait ça. Si je le connais­sais j’aurais deux mots à lui dire ! Quant à Ste­phen, dont on pense rapi­de­ment qu’il est plu­tôt inhu­main, parce qu’il ne s’intéresse aux autres que dans la mesure où cela contri­bue à son intel­lect, à l’avancée de son enquête ou au sou­la­ge­ment de ses gonades, on lui découvre dou­ce­ment plus qu’une simple fra­gi­lité, que tout ça n’est pas facile à vivre tous les jours, et qu’au moment où il est confronté à quelqu’un qui a décidé de remettre en cause tout son monde, il ne lui reste plus que le refuge dans la dépres­sion et à “péter un câble”. Donc ce qui les rend humains, c’est ce qui rend humain tout le monde.

C’est le thème de cette huma­nité qui revient avec le per­son­nage de Michel, le SDF
Michel est le seul per­son­nage authen­tique. C’est quelqu’un que j’ai côtoyé sur ce fameux banc et que j’ai perdu de vue en démé­na­geant. Je ne sais pas ce qu’il est devenu, s’il vit encore, s’il a fait son che­min, s’il est resté… enfin je n’ai aucune idée. J’ai raconté ce que je connais­sais de lui, et c’est le seul per­son­nage qui, à mon sens, n’évolue pas dans l’histoire. Ce sont les cir­cons­tances qui l’amènent, à un moment donné, à dire “bon ben là, tiens ! ça suf­fit, j’en ai marre d’être sur mon banc, je vais ailleurs.“
Mais ce qu’il a en tête il l’a déjà depuis très long­temps, pro­ba­ble­ment depuis le moment où il a bas­culé, où il s’est laissé déchoir par la société et où il a décidé que, fina­le­ment, c’était une situa­tion qui n’était pas plus incon­for­table que d’autres. Bref, Michel c’est le seul per­son­nage vrai­ment humain de mon bou­quin. Parce que même si j’ai un faible pour Ann X, pour Naïs, même si je déteste pro­fon­dé­ment Ste­phen, il n’y a que Michel à qui je pour­rais payer un pot ou retour­ner par­ta­ger un café-croissant sur son banc.

On sent un uni­vers très sudiste dans votre roman. Même au début, quand on est dans une ville d’Amérique, on a l’impression que vous décri­vez déjà Lyon. Il y a un côté très “chez soi”, pour ne pas dire régio­na­liste. C’était voulu ?
Oui c’était voulu dans la mesure où je cher­chais un effet de réa­lisme et qu’on ne décrit jamais aussi bien que ce qu’on connaît. Du coup, à l’exception de Ber­lin, toute mon his­toire se passe “dans les villes du Sud”, pour autant qu’on puisse consi­dé­rer Lyon comme une ville du Sud ! Ceci dit : pour­quoi le Sud ? Je n’en sais rien. Parce que j’ai du mal à grim­per au nord de la Loire, parce que je suis un dépres­sif sai­son­nier et que les dépres­sifs sai­son­niers sont des gens qui souffrent du manque de lumi­no­sité, donc de soleil.

Je vais sau­ter d’un pour­quoi à un autre : pour­quoi le polar ?
Je ne pou­vais pas racon­ter mon his­toire autre­ment. Ce que j’avais à dire concer­nait des évé­ne­ments et la façon dont nous sommes dés­in­for­més vis-à-vis d’eux. Ni les poli­ti­ciens, ni les médias, ni ce qu’on peut trou­ver sur le net n’est faci­le­ment véri­fiable et sur­tout n’est ni com­plet ni objec­tif. Je vou­lais essayer de mon­trer cette période-là avec un regard, pas cri­tique, mais qui dise “posez-vous des ques­tions !” S’il y a un thème dans Trans­pa­rences c’est “ne pre­nez jamais ce qu’on vous dit pour argent comp­tant”. Essayez d’aller voir plus loin. D’ailleurs, c’est la conclu­sion du livre. Le polar était ce qui me per­met­tait le mieux de le racon­ter puisqu’il s’agissait de mettre en place les pou­voirs supra-nationaux qui font que le monde est ce qu’il est. Ou qui en tout cas le mani­pulent avec des inten­tions par­ti­cu­lières. Voilà, c’est la seule raison.

D’un point de vue plus mer­can­tile, vous pas­sez d’un genre, la science-fiction, qui est un peu en déclin en France aujourd’hui, à un genre tout aussi mal consi­déré il y a peu encore, et qui est en pleine reva­lo­ri­sa­tion. Aviez-vous besoin d’un ouvrage ali­men­taire, pour retour­ner ensuite à vos amours, ou est-ce que c’est vrai­ment le genre qui vous tenaillait ?
Non, c’est vrai­ment le genre qui me tenaillait et il n’y en avait pas d’autre. Ça n’a rien d’alimentaire. D’ailleurs je ne sais pas ce que don­nera ce bou­quin. Ce que je sais c’est que je n’ai pas à me plaindre de mes ventes en science-fiction. La science-fiction a une très mau­vaise image de marque et, aujourd’hui, la plu­part des édi­teurs arrêtent ou ralen­tissent leurs col­lec­tions parce qu’elles ne sont pas assez ren­tables. Enten­dez que pour res­pec­ter un objec­tif de quinze pour cent de marge, par exemple, il est moins ris­qué de se débar­ras­ser de tout ce qui marge en des­sous que de faire chu­ter la moyenne avec des titres à huit ou dix pour cent. Voilà pour­quoi le genre dis­pa­raît des rayons, alors que c’est un des rares genres qui ne perd jamais d’argent. D’ailleurs, en termes de chiffres moyens de vente, la SF est glo­ba­le­ment mieux pla­cée que le polar.
En consé­quence, ce serait plu­tôt un risque d’écrire du polar aujourd’hui, à moins de s’appeler Dae­nin­ckx, Pouy ou Grangé. C’est-à-dire d’avoir déjà une clien­tèle fidé­li­sée et un talent sûr. Moi, c’est ma pre­mière expé­rience dans le domaine, le moins que l’on puisse dire c’est que je me suis beau­coup amusé, mais que j’en ai aussi énor­mé­ment bavé. C’est aussi pour ça que j’avais envie d’écrire du polar : par défi, pour faire autre chose, pour dire “je ne suis pas un écri­vain de science-fiction, je suis un roman­cier, point”. Je suis à l’aise dans la construc­tion d’histoires, à l’aise avec des per­son­nages. Et puis si j’ai envie de faire un roman his­to­rique, ce qui sera pro­ba­ble­ment le cas la pro­chaine fois, bah je ferai aussi un roman his­to­rique. Et cela ne m’empêchera pas d’y mettre ma patte. Je me suis dis­crè­te­ment éloi­gné de la ques­tion, là. (sou­rire)

—–

Mais on y revient… quand vous dites que vous êtes nou­veau dans le polar, vous avez tout de même un “public Ayer­dhal”, qui est der­rière vous, qui achète votre pro­duc­tion. Il va vous suivre ! C’est quand même une police d’assurance, on ne change pas de genre inno­cem­ment.
Je ne me suis jamais posé la ques­tion en ces termes. Enfin, je veux dire, concer­nant Trans­pa­rences. Par contre, je suis quelqu’un de très réa­liste, j’ai tra­vaillé dans le mar­ke­ting donc je sais assez bien com­ment tout ça fonc­tionne. C’est vrai que j’ai un public, qu’il y a un cer­tain nombre de mil­liers de per­sonnes en France qui lisent tous ou presque tous les Ayer­dhal. Ils liront pro­ba­ble­ment aussi Trans­pa­rences. Mais c’est un cal­cul que devait faire mon édi­teur, ce n’est pas un cal­cul que je ferai moi. Mon envie, en écri­vant Trans­pa­rences, c’était d’essayer de mon­trer à un cer­tain nombre de lec­teurs qui ne lisent jamais de science-fiction, et à un cer­tain nombre de jour­na­listes qui ne veulent pas s’y inté­res­ser que, parmi les auteurs dits de SF, il y a des roman­ciers qui peuvent s’exprimer dans n’importe quel genre avec une égale et, je l’espère, indé­niable qua­lité. Pour ne pas paraître trop van­tard, je cite­rais Pierre Bor­dage. Pierre est un écri­vain de talent, quel que soit le domaine dans lequel il écrit. J’ai eu envie de mettre les points sur les i. J’ai eu envie de dire “voyez, moi je suis roman­cier, c’est vrai, je ne suis pas un phi­lo­sophe, je ne suis pas un poète, je suis un roman­cier, mais à ce titre je peux racon­ter n’importe quel type d’histoire. Si vous aimez mes polars, essayez d’aller jeter un œil sur mes space opera ou sur mes anti­ci­pa­tions, ou sur le reste de mon boulot”.

Ce n’est pas un secret puisque vous l’avez déjà dit, vous tra­vaillez, ou vous envi­sa­gez de tra­vailler sur un ouvrage de Fan­tasy. C’est aussi un genre que les lec­teurs de science-fiction, pour emprun­ter un sté­réo­type, n’aiment pas. Est-ce que vous cher­chez à élar­gir votre public ?
Je cherche très clai­re­ment à élar­gir mon public, mais c’est pas par ce que j’écris. Je cherche à élar­gir mon public… Hum… Com­ment le for­mu­ler ? Ça, c’est très inté­res­sant ! Par exemple, j’aimerais bien que Trans­pa­rences devienne un film. Et là j’élargirai mon public, vrai­ment. Ce n’est pas en chan­geant de genre, parce que grosso modo, je vais faire le même nombre de lec­teurs. À moins d’avoir un coup de génie mais ça j’y crois pas au coup de génie, je veux dire on en a un par siècle et le mien je l’ai déjà eu. Encore que… je n’ai eu que celui du siècle der­nier, j’ai peut-être encore une chance pour celui-là. Non, j’ai envie de tou­cher à plein de choses. J’en suis arrivé, depuis 1997, à en avoir marre d’écrire. Alors, pour bos­ser, j’ai besoin de moti­va­tions sup­plé­men­taires, d’aller tâter de ter­rains que je n’ai jamais fou­lés. Après, que ça élar­gisse le public, je n’en doute pas, par­ti­cu­liè­re­ment si je m’essaie à la Fan­tasy sans trop me plan­ter. Le genre va bien. J’espère donc que ça contri­buera à mettre du beurre dans mes épi­nards… quoique la mar­ga­rine avec les épi­nards c’est car­ré­ment infâme et que je pré­fé­re­rais man­ger autre chose.

Pour conti­nuer dans ce registre plus per­son­nel, qu’est-ce que vous avez véri­ta­ble­ment lâché de vous dans Trans­pa­rences, que vous n’aviez pas mis dans vos autres romans ?
Ma fas­ci­na­tion pour la vio­lence. Et quand je dis fas­ci­na­tion, dans les autres romans, je m’en suis tou­jours servi comme d’un moyen d’expression, de rébel­lion, de révo­lu­tion, en tout cas ceux qui en usent sont des gens qui essayent de bou­ger leur société. Ce sont géné­ra­le­ment des femmes, la plu­part de mes mecs sont assez mous, idéo­logues, ont du mal à prendre des déci­sions et ne sont pas jusqu’au-boutistes. Dans Trans­pa­rences j’ai poussé le bou­chon. Naïs ne flingue pas parce qu’elle a une grande idée révo­lu­tion­naire. Non, elle flingue parce qu’elle est com­plè­te­ment aso­ciale, parce qu’elle s’est mar­gi­na­li­sée de façon extrême. Elle a éta­bli ses propres règles et elle les fait évo­luer toute seule. Elle en vient même à dire quelque chose comme “Pour­quoi on me pour­suit moi, qui n’ai jamais tué que mille per­sonnes, alors qu’on ne pour­suit pas un cer­tain nombre de géné­raux ou d’hommes poli­tiques qui sont res­pon­sables de dizaines, voire de cen­taines de mil­liers de morts ?” Vis-à-vis de la mort et de la vio­lence, nous vivons un monde d’une hypo­cri­sie redou­table. Par exemple, on pré­tend réduire le nombre de morts sur la route en bais­sant dras­ti­que­ment des limi­ta­tions de vitesse qui n’existent que pour faire ren­trer de l’argent dans les caisses de l’État, et on ferme les yeux sur les mil­liers de per­sonnes qui meurent chaque année de mala­dies noso­co­miales, dans les hôpi­taux dont on réduit tout aussi dras­ti­que­ment les budgets.

D’où Naïs. D’ailleurs, elle a beau­coup été com­pa­rée à l’héroïne de Kill Bill… Mais elle a d’autres ori­gines, à cher­cher dans le manga, notam­ment la figure de la jeune femme qui n’accepte pas la société et que l’on retrouve comme pon­cif dans ce genre, non ?
Ça va faire plai­sir à ma fille mais, à part ça, je n’ai pas vu Kill Bill et j’ai lu très peu de man­gas. Mora­lité, le rap­pro­che­ment ne risque pas de me paraître évident, sur­tout en ce qui concerne Kill Bill.

Ça doit être le sabre.
Oui mais alors à ce moment-là, il vaut mieux remon­ter aux Sept samou­raïs.

En prin­cipe, la femme est cen­sée être mater­nelle, mater­nante, amou­reuse… mais chez vous, on la voit sou­vent bas­cu­ler dans le côté néga­tif, sans pour autant gom­mer toutes ces qua­li­tés de dou­ceur. Dou­ceur dont, en plus, elle a besoin puisqu’elle en a été pri­vée. Est-ce que c’est un hasard ou est-ce que c’est quelque chose de réflé­chi ?
C’est vrai­ment réflé­chi. Je ne dirais pas le côté néga­tif mais “the dark side of huma­nity”. En fait, quand j’ai com­mencé à écrire, on devait être en 88 je crois — mon pre­mier bou­quin a été publié en 90 mais on devait être en 88 — la science-fiction fran­çaise, comme l’essentiel de la SF mon­diale, était extrê­me­ment phal­lo­crate, machiste. Les per­son­nages fémi­nins n’étaient que les faire-valoir des per­son­nages mas­cu­lins, ou de simples “bons coups”. Je n’ai pas grandi dans un milieu comme ça, moi, mais alors pas du tout. Je ne me suis donc jamais reconnu dans ce genre de trucs. C’est tout natu­rel­le­ment que j’ai à la fois voulu écrire quelque chose de vrai et bous­cu­ler mes cama­rades auteurs… qui à l’époque ne l’étaient pas (des cama­rades auteurs) puisque je n’étais pas encore auteur. Mais j’avais envie de mettre les pieds dans le plat et j’ai com­mencé comme ça, puis je me suis aperçu que, fina­le­ment, je décri­vais des per­son­nages fémi­nins assez proches des femmes que je côtoie. Il y a aussi et bien sûr le côté fan­tas­ma­tique : j’aimerais bien que la femme change le monde puisque, mani­fes­te­ment, l’homme n’en est pas capable. À part bien sûr, madame That­cher, comme chante Renaud ! Bref, c’est un thème récur­rent chez moi, que j’exploite peut-être encore plus dans Trans­pa­rences, essen­tiel­le­ment parce que le per­son­nage de Naïs est jusqu’au-boutiste et parce que c’est le seul per­son­nage fémi­nin qui a réel­le­ment un poids constant. Elle pèse comme une chape de plomb sur tout le bou­quin et sur tous les autres personnages.

Dans Trans­pa­rences, vous avez réagi face à des évé­ne­ments récents. N’y a-t-il pas un effet cata­logue, à par­ler de tout ce qui s’est passé ces quinze der­nières années ?
Non. J’espère que non. En tout cas, c’est pour évi­ter cet effet cata­logue que j’ai sup­primé mille pages de la ver­sion ori­gi­nelle. Je ne vou­lais sur­tout pas être exhaus­tif, ni pesant, pour une fois… parce que j’ai ten­dance à l’être dans cha­cun de mes bou­quins. Je ne crois pas être moins engagé dans Trans­pa­rences que je ne l’ai été dans d’autres livres, mais je suis assu­ré­ment moins gueu­lard, moins édu­ca­teur. J’ai juste envie que le lec­teur se pose des questions.

Pour finir, on sent l’auteur en quête de quelque chose, mais de quoi ?
D’un deuxième souffle, comme je le disais tout à l’heure. Depuis 97, j’en ai marre d’écrire, donc j’ai besoin de nou­velles moti­va­tions dans l’écriture. Ce n’est pas seule­ment que j’aime tou­jours ça, c’est que je sais rien faire d’autre et que, appa­rem­ment, je ne suis pas trop mau­vais dans cet exercice-là. Mora­lité, il faut que je me trouve de nou­velles moti­va­tions et, le plus simple, c’est de m’inventer des défis. Écrire un polar en était un. Le pro­chain sera peut-être de bos­ser un roman his­to­rique. Non, le pro­chain c’est un space opera, mais il y aura un roman his­to­rique dans un ave­nir proche. Il y aura aussi un autre thril­ler, de la Fan­tasy, etc. Il faut que je me remo­tive en per­ma­nence et je crois que c’est le cas de tous les auteurs qui font la même chose depuis long­temps. En tout cas pour en avoir dis­cuté avec pas mal d’auteurs, dont cer­tains sont des amis, oui, au bout de dix-quinze ans d’écriture, il faut se remotiver.

   
 

Pro­pos recueillis par ana­bel delage le 6 juillet 2004.

 
     
 

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