Nicolas Fargues reprend le thème de Beau rôle en déplaçant son héros. Au jeune acteur « satisfait d’être libre et relativement célèbre, satisfait d’exercer un métier enviable, satisfait de n’envier personne » fait place un écrivain savant à succès, « vedette de la pensée ». Il est aussi insupportable que presque (le presque est important) touchant dans son concentré de contradictions, de cynisme, de faiblesse sentimentaliste pitoyable. Le romancier développe la pâle épopée de l’imbu de lui-même qui tente de se refaire le poil beau sur la charogne qui l’a engendrée : à savoir, la France que le sociologue a dégommé dans un essai qui donne le titre au roman. Le pays abhorré forme la surface de réparation sur laquelle le narrateur peut vomir sa bile sans comprendre que, ce faisant, il se vomit lui-même. Le tout en scènes furtives qui sont autant de lignes de fuite.
Les coups de gong du héros frappent dans le vide et ses frasques amoureuses font de lui un roi sans véritable divertissement. Si bien que cet homme, en tenue préhistorique, croyant tenir son stylo comme une massue, n’est qu’un Cendrillon ayant perdu sa pantoufle. Le tout à l’épreuve de son narcissisme. Croyant galoper en prestige comme un cheval, il s’immobilise dans le peu qu’il est et qu’il représente en un monde où l’auteur à succès est un produit à consommer avec date de fraîcheur.
Dans cette fiction caustique sur le monde des lettres, le plastronnant don-juan de second étage reste prêt à tout pour jouir de la rançon de sa gloire. Il arrive même à se croire conscient de sa propre supériorité tout en n’étant pas dupe des salamalecs dont il est entouré. Néanmoins, ils le grisent. Le lettré joue donc la star, devient « people » tout en prêchant l’égalitarisme cool et le dynamitage « savant ».
Sa bonne conscience fait le reste. Et s’il ne faut pas chercher ici de roman à clé, les Michel Onfray et ses confrères en mufleries prétentieuses ne sont jamais loin. Sous le penser mal se cache une bien pensance crasse que l’auteur met à nu. Il manque peut-être au livre la corrosion d’un Houellebecq mais le roman reste pertinent quoique sur un monde relativement mineur.
jean-paul gavard-perret
Nicolas Fargues, Au pays du p’tit, P.O.L éditeur, Paris, 2015, 240 p. — 16,00 €.