Nicolas Fargues, Au pays du p’tit — Rentrée 2015

Pauvre France

Nico­las Fargues reprend le thème de Beau rôle en dépla­çant son héros. Au jeune acteur « satis­fait d’être libre et rela­ti­ve­ment célèbre, satis­fait d’exercer un métier enviable, satis­fait de n’envier per­sonne » fait place un écri­vain savant à suc­cès, « vedette de la pen­sée ». Il est aussi insup­por­table que presque (le presque est impor­tant) tou­chant dans son concen­tré de contra­dic­tions, de cynisme, de fai­blesse sen­ti­men­ta­liste pitoyable. Le roman­cier déve­loppe la pâle épo­pée de l’imbu de lui-même qui tente de se refaire le poil beau sur la cha­rogne qui l’a engen­drée : à savoir, la France que le socio­logue a dégommé dans un essai qui donne le titre au roman. Le pays abhorré forme la sur­face de répa­ra­tion sur laquelle le nar­ra­teur peut vomir sa bile sans com­prendre que, ce fai­sant, il se vomit lui-même. Le tout en scènes fur­tives qui sont autant de lignes de fuite.
Les coups de gong du héros frappent dans le vide et ses frasques amou­reuses font de lui un roi sans véri­table diver­tis­se­ment. Si bien que cet homme, en tenue pré­his­to­rique, croyant tenir son stylo comme une mas­sue, n’est qu’un Cen­drillon ayant perdu sa pan­toufle. Le tout à l’épreuve de son nar­cis­sisme. Croyant galo­per en pres­tige comme un che­val, il s’immobilise dans le peu qu’il est et qu’il repré­sente en un monde où l’auteur à suc­cès est un pro­duit à consom­mer avec date de fraîcheur.

Dans cette fic­tion caus­tique sur le monde des lettres, le plas­tron­nant don-juan de second étage reste prêt à tout pour jouir de la ran­çon de sa gloire. Il arrive même à se croire conscient de sa propre supé­rio­rité tout en n’étant pas dupe des sala­ma­lecs dont il est entouré. Néan­moins, ils le grisent. Le let­tré joue donc la star, devient « people » tout en prê­chant l’égalitarisme cool et le dyna­mi­tage « savant ».
Sa bonne conscience fait le reste. Et s’il ne faut pas cher­cher ici de roman à clé, les Michel Onfray et ses confrères en mufle­ries pré­ten­tieuses ne sont jamais loin. Sous le pen­ser mal se cache une bien pen­sance crasse que l’auteur met à nu. Il manque peut-être au livre la cor­ro­sion d’un Houel­le­becq mais le roman reste per­ti­nent quoique sur un monde rela­ti­ve­ment mineur.

jean-paul gavard-perret

Nico­las Fargues,  Au pays du p’tit, P.O.L édi­teur, Paris,  2015, 240 p. — 16,00 €.

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