Fabrice Colin, La Mémoire du vautour

Ce roman cho­ral, jouant à la lisière du réel, du rêvé et des mémoires troubles, envoûte mais demeure dif­fi­cile à suivre

William Tyron vit de bou­lots à la con. Après avoir passé une petite annonce, il reçoit une nou­velle pro­po­si­tion de tra­vail de sur­veillance assez sau­gre­nue. En effet, il s’agit de sur­veiller une ancienne G.I. afin de la pré­ser­ver de tout choc psy­cho­lo­gique ou émo­tion­nel, pour qu’elle ne retrouve pas le sou­ve­nir d’un évé­ne­ment trau­ma­ti­sant qui aurait eu lieu au cours de son ser­vice pour l’armée amé­ri­caine. Intri­gant, mais sur­tout lucra­tif, ce tra­vail inté­resse Bill. Il ne tarde pas à tom­ber amou­reux de la jeune femme, Sarah, mais celle-ci est gra­ve­ment malade. Bill se met alors à fouiller dans le passé de Sarah pour com­bler le “trou noir”, espé­rant par ce biais la sau­ver. Employeur mys­té­rieux, amour pas­sion­nel et impos­sible… voilà l’intrigue lan­cée, enchaî­nant des situations-clichés et des tour­nures assez “faciles”. Fin du pre­mier cha­pitre. La quête de la mémoire per­due se pour­suit au cha­pitre sui­vant, mais à pré­sent, le lec­teur se retrouve dans la peau d’un autre per­son­nage, dans une autre époque et une autre ambiance, confé­rant ainsi au roman le qua­li­fi­ca­tif de “choral”.

Six cha­pitres com­posent le roman et sont autant d’éclairages qui visent à recons­truire… quoi donc au juste ? La vérité ? Le passé ? Tous ces points de vue ne semblent insis­ter que sur la ténuité des sou­ve­nirs et la dif­fi­culté (voire l’impossibilité) de recons­truire vrai­ment le passé et de connaître le pour­quoi et le com­ment pré­sent. Le temps qui passe n’est pas le seul res­pon­sable de ces dis­tor­sions. Ce serait trop simple. Si les sou­ve­nirs se perdent, c’est aussi à cause de l’individu qui se perd lui-même, qui hal­lu­cine au sens fort du terme. Qui est le “je” qui pense, quand celui-ci com­mence à goû­ter à la vie com­mu­nau­taire hip­pie, consomme de la drogue, tente d’atteindre le nir­vana ? L’individu est com­plè­te­ment dis­sous. Il peut même deve­nir ani­mal, et dans cet état natu­rel, étendre ses pos­si­bi­li­tés de “sen­tir” le monde dif­fé­rem­ment. Les repères sont flous et ces expé­riences limites côtoient la mort. Omni­pré­sente et glo­ri­fiée en exergue du roman, Death by beauty. Death by sen­si­ti­vity. Death by awa­re­ness. Death by expe­rience. Death by land­scape, elle obsède cha­cun des personnages.

Au fil des nom­breux détours et rebon­dis­se­ments, le lec­teur en oublie le fil du pre­mier cha­pitre, très rythmé, s’apparentant à un scé­na­rio de télé­film. Le reste du roman res­semble à un voyage “lyn­chien” comme le sug­gère la note d’intention édi­to­riale en qua­trième de cou­ver­ture. En effet, l’errance dans les sou­ve­nirs des dif­fé­rents per­son­nages nuance la fron­tière entre réel, fic­tion, rêve, drogue, mémoire… Si la science apporte cer­taines réponses (William lit quelques articles sur la mémoire), c’est peut-être plu­tôt l’art qui aurait le der­nier mot, à tra­vers la voix de l’étrange Io-Tancrède, pro­fes­seur d’arts plas­tiques fas­ciné par la mort, met­tant en place diverses per­for­mances. Comme chez Lynch, le résul­tat est com­plexe, tordu… mais envoû­tant. Peut-être un peu trop pour ne pas avouer, déçu, en fer­mant le livre : on n’y com­prend rien. En lisant ce récit aux allures de roman d’anticipation où il est ques­tion des capa­ci­tés et des limites du cer­veau, le lec­teur se demande si le sien n’a pas disjoncté…

mathilde piton

   
 

Fabrice Colin, La Mémoire du vau­tour, Le Diable Vau­vert, avril 2007, 305 p. — 20,00 €.

 
     

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