Maïa Brami, Paula Becker la peinture faite femme

Cons­truire, dit-elle

Paula Becker n’aura jamais été vieille. Mais elle aura fait mieux. Elle aura été la seule femme à tenir tête à Rilke et reste une artiste majeure de l’expressionnisme alle­mand dont elle fut une des ini­tia­trices même si elle mou­rut oubliée avant qu’à tra­vers son jour­nal des uni­ver­si­taires amé­ri­cains la res­sortent de l’ombre. Quant à Maïa Brami, elle la traite comme une amie proche. Elle l’admire en tant qu’une des créa­trices « qui a rendu son corps aux femmes ». Elle pour­rait donc appar­te­nir à celles que Xavière Gau­tier nomma « sor­cières » mais elle fut autant sour­cière sor­tant le fémi­nin de sa sou­ri­cière d’ombres. Sa pas­sion la porta en France. Paris devint le lieu de son com­bat.
Elle osa ce qu’aucune femme n’avait créé avant elle : des auto­por­traits nus. On ne le lui par­donna pas. Mais ce fut pour elle un moyen de se sépa­rer d’une logique de l’art où la femme était confis­quée de son corps par les peintres mas­cu­lins qui s’en empa­raient en la rédui­sant du sta­tut de sujet à celui d’objet.

Paula Becker cassa se pro­ces­sus. Son corps auto-représenté devint le filtre contre la récep­ti­vité orga­ni­sée, l’hospitalité sélec­tive qui ne ces­saient de trier et ne purent accep­ter une œuvre qui déran­geait son ordre. Repre­nant des moments clés de sa vie, par­se­mant sa recons­truc­tion de docu­ments (lettres à l’époux par exemple), Maïa Brami crée le plus vibrant hom­mage envers celle qui devint le paran­gon de l’artiste d’avant-garde sur divers plans face à ceux qui virent en l’œuvre une note trop aiguë, une onde détes­table.
C’est pour­quoi ce livre est majeur : il montre com­ment, chez l’artiste, la chair se mani­festa par la pein­ture afin de sor­tir du jeu d’inhibition psy­chique et de la stu­peur sexuelle orga­ni­sée. On tenta d’effacer un tel « luxe » ou plu­tôt une telle néces­sité. L’œuvre reste néan­moins et (comme celle de sa « bio­graphe ») ne se quitte pas. Voici le fan­tôme de Paula Becker comme il obséda Rilke jusqu’à sa mort.

jean-paul gavard-perret

Maïa Brami,  Paula Becker la pein­ture faite femme , Edi­tions de l’Amandier, coll. Mémoire vive, 2015,  144 p. — 20,00 €.

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