Stephen R. Donaldson, L’Appel de Mordant — Tome 1 : “Le miroir de ses rêves”

Stephen R. Donald­son offre ici le pre­mier volet d’un cycle pro­met­teur où les intrigues foi­sonnent autour de prin­cesses pas mièvres du tout

Térisa Mor­gan est une belle et intel­li­gente jeune femme. Mais une enfance soli­taire et un tem­pé­ra­ment timide font d’elle quelqu’un d’effacé. Et par­fois, elle a même l’impression de s’effacer vrai­ment du monde, comme si elle n’existait pas ! Ce sen­ti­ment l’oppresse tel­le­ment qu’elle a cou­vert les murs de son appar­te­ment de miroirs, pour se voir exis­ter. Alors, le jour où un gar­çon tra­verse l’un d’eux tan­dis qu’elle se regarde dedans, et lui demande si elle veut bien le suivre dans son monde pour sau­ver le royaume de Mor­dant, Térisa accepte. Car pour une fois, une per­sonne s’intéresse à elle. Mais sitôt de l’autre côté du miroir, elle arrive dans un châ­teau plein d’intrigues et au bord de la guerre, gou­verné par un Roi fou, et les gens pré­sents ne veulent pas lui faire confiance. Il faut dire que Géra­den, l’homme qui l’a convain­cue de venir, n’est autre qu’un Apprenti très mal­adroit, au point de s’être trompé de per­sonne ! Et il est dif­fi­cile à la frêle Térisa de pas­ser pour le grand com­bat­tant rompu aux arts de la guerre que tous atten­daient. Hébé­tée, elle se retrouve prise au milieu de com­plots divers et de trac­ta­tions secrètes. Géra­den, puis la pétillante ser­vante Sad­dith la prennent en main et lui font décou­vrir son nou­vel envi­ron­ne­ment. Mais pour­tant, dans cet uni­vers où tout lui semble nou­veau, elle réus­sit à char­mer les filles du Roi, découvre l’amitié et s’aperçoit qu’elle ne laisse pas les hommes insen­sibles. Ce qui pour­rait deve­nir un conte de fée vire alors au cau­che­mar pour Térisa, femme pour­tant soi-disant insi­gni­fiante, car un sol­dat vêtu de noir veut la tuer, une ombre brune la suit par­tout dans le châ­teau.… Et elle reçoit même des visites noc­turnes, grâce au pas­sage secret qui débouche dans sa chambre. La voilà donc en dif­fi­culté, n’ayant nul lieu sûr où se réfu­gier.
En ces lieux, Térisa est bien réelle et la magie aussi. Mais il lui est bien dif­fi­cile de savoir à qui se fier… et qui tra­hir pour sau­ver Mordant !

D’une plume élé­gante, Ste­phen R. Donald­son esquisse les pre­miers élé­ments d’un cycle pro­met­teur. Les mor­dus de Fan­tasy trou­ve­ront des prin­cesses pas mièvres, des Appren­tis valeu­reux, des sol­dats dévoués, un Roi que l’on dit fou, de la magie (dans un sys­tème ori­gi­nal), des bêtes cruelles à affron­ter, des traîtres à démas­quer, des intrigues poli­tiques nébu­leuses, des com­bats et bien sûr de l’amour. Et le lec­teur se laisse prendre. Car c’est avec tact que l’auteur nous invite à prendre place, offrant en guise d’appât le par­fum quelque peu sur­anné des grands appar­te­ments occu­pés par une per­sonne seule depuis long­temps. Et il fait les pré­sen­ta­tions lors d’une ren­contre plus qu’imprévue en met­tant face à face deux per­son­nages tou­chants. Et for­cé­ment, un troi­sième ne tarde pas à s’en mêler… Voilà alors le lec­teur ferré, qui s’aperçoit au détour d’une page avoir pris parti pour l’un des can­di­dats et se prend à espé­rer avec bien d’autres que le Roi va se res­sai­sir, sor­tir de sa folie et fina­le­ment repor­ter son choix sur un autre cham­pion… Bref, l’auteur a une maî­trise fine des com­plots et de la mise en scène, et ça marche. Le choix du nar­ra­teur externe est judi­cieux, sur­tout quand il se fait omni­scient pour décrire les pre­miers émois, les doutes et les tour­ments de Térisa. Ces points de vue alter­nés per­mettent une jolie mani­pu­la­tion du lec­teur, qui par moments ne sait plus trop à quel saint se vouer, tout comme l’héroïne. Il faut dire que les pas­sages secrets et les intrigues à plu­sieurs niveaux donnent le tour­nis. Et plus on avance plus l’agitation pré­cé­dant une guerre monte, tan­dis que les cou­loirs bruissent des pas des émis­saires, traîtres, sol­dats de garde et autres damoi­selles allant en cati­mini à des rendez-vous galants. Fina­le­ment, le silence se trouve sur les rem­parts et dans les geôles, où l’on plonge avec appré­hen­sion. Pour en res­sor­tir le cœur bat­tant et un sou­rire aux lèvres. L’important étant de ne pas, sur­tout pas, res­ter trop près des miroirs…

Un point seule­ment pour­rait cris­per cer­tains lec­teurs. C’est le “mélange” de science-fiction et de Fan­tasy. Pré­ci­sons bien les guille­mets : il n’y a ni vais­seaux spa­tiaux, ni arte­facts tech­no­lo­giques ici ! Mais le sys­tème magique per­met une cer­taine poro­sité et de fait, Ter­mi­na­tor pour­rait bien chas­ser un dra­gon si telle était l’envie de l’auteur. Fort heu­reu­se­ment, ce der­nier s’est bien gardé d’une héré­sie pareille et l’honneur de nos preux che­va­liers est sauf ! De toute façon, nul besoin de tels chassés-croisés, les intrigues super­po­sées se suf­fisent à elles-mêmes. Pas de panique donc, une fois passé le pre­mier cha­pitre, on est bel et bien dans un uni­vers médié­val fan­tas­tique, pour le plus grand bon­heur des ama­teurs du genre.

Voici donc une héroïne fraîche, qui n’a pour le moment aucun don magique latent et a déjà fort à faire avec l’initiation à la vie de châ­teau. Son éveil à la sen­sua­lité, sa décou­verte d’elle-même, de son intel­li­gence et de ses capa­ci­tés suf­fisent ample­ment à en faire un être atta­chant. Son désir va crois­sant et celui du lec­teur aussi… de lire le second tome !

ana­bel delage

   
 

Ste­phen R. Donald­son, L’Appel de Mor­dant — Tome 1 : “Le miroir de ses rêves” (tra­duit par Valé­rie Dayre), Folio SF n° 198, 2005, 636 p. — 8,00 €.

 
     
 

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