Thierry Sarmant, 1715. La France et le monde

A quoi res­semble le monde en 1715 ?

On ne peut que recom­man­der la lec­ture de l’ouvrage de Thierry Sar­mant, réflexion de grande qua­lité sur ce qu’est le monde lorsque Louis XIV ferme les yeux pour tou­jours en 1715. Le lec­teur ne doit pas se lais­ser impres­sion­ner par le titre et le thème de l’ouvrage. Le texte reste tou­jours très acces­sible, pro­fi­tant des qua­li­tés d’écriture de l’auteur qui émaille son tra­vail de très beaux et fins por­traits.
L’histoire racon­tée ici se veut glo­bale, dans le sens où Thierry Sar­mant nous décrit l’état du monde entre la fin du XVIIème siècle et le début du XVIIIème siècle. S’il com­mence par le grand conflit euro­péen de la guerre de Suc­ces­sion d’Espagne, «  pre­mier conflit de reten­tis­se­ment mon­dial », c’est pour mieux insis­ter sur la nou­velle hié­rar­chie de puis­sance qui en découle : un affai­blis­se­ment de la France et une mon­tée en puis­sance de l’Angleterre que peu de contem­po­rains ont vrai­ment per­çus à l’époque. Londres est déjà une ville-monde et la monar­chie anglaise un modèle. Les pages consa­crées à la Régence sont déli­cieuses et insistent sur le mélange de fausse rup­ture (l’absolutisme n’est pas remis en cause par Phi­lippe d’Orléans) et d’impulsions diplo­ma­tiques nou­velles (l’alliance avec Londres).

Très vite cepen­dant, le livre plonge dans l’étude des autres civi­li­sa­tions, et c’est là son grand inté­rêt. La Chine est décrite comme la pre­mière puis­sance mon­diale de l’époque, l’Empire otto­man encore solide mais déjà dépassé, la Perse en déclin minée par le conflit entre sun­nites et chiites, la Rus­sie entrée dans la moder­nité occi­den­tale à son corps défen­dant, l’Amérique déchi­rée par les riva­li­tés euro­péennes.
Fran­chis­sant une étape dans l’analyse, Thierry Sar­mant s’interroge sur les causes de la supré­ma­tie de l’Europe qui ne cesse de s’affirmer. Avec une iro­nie aussi dis­crète que per­ti­nente, il rejette les oukases de l’historiquement cor­rect pour poin­ter du doigt le manque d’intérêt des non-occidentaux pour l’Europe et ses inno­va­tions. Seule la Rus­sie de Pierre le Grand connaît ce que l’auteur appelle une sorte de conver­sion à l’Europe, bru­tale et impo­sée, qui a trau­ma­tisé la société russe dans ses profondeurs.

Ce livre est donc remar­quable tant sur la forme que sur le fond : his­toire poli­tique, cultu­relle, diplo­ma­tique, qui offre une mise en pers­pec­tive des plus inté­res­santes. C’est un bel exemple de ce que les Anglo-Saxons appellent la World His­tory et de ce que ce thème his­to­rio­gra­phique peut appor­ter à la com­pré­hen­sion du monde actuel : les per­ma­nences de la Chine, sa pré­coce com­pé­ti­tion avec les Russes, son impé­ria­lisme mais aussi les liens de la Rus­sie avec le monde ger­ma­nique, le déca­lage entre puis­sance poli­tique et puis­sance cultu­relle (le cas fran­çais est très éclai­rant), la dis­tance de l’islam avec la moder­nité occi­den­tale.
Une étude pas­sion­nante de bout en bout.

 fre­de­ric le moal

 Thierry Sar­mant, 1715. La France et le monde, Per­rin, octobre 2014, 461 p. - 24,00 €.

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