Miriam Cahn, Nous étions vieux

La mai­son de l’être

Miriam Cahn rap­pelle que nous ne sommes jamais si près de quelqu’un ou de quelque chose que de notre chaise. De la mai­son de l’être, elle est le plus fidèle ins­tru­ment. L’artiste s’y pose pour des­si­ner ses œuvres avant de les peindre à même le sol et par­fois de s’évader vers des ciné­mas, concerts, théâtres, gale­ries. Elle y revient sans cesse pour s’affronter à elle-même et don­ner sens à ce qui fait la médio­crité de l’existence quelles qu’en soient les pompes et cir­cons­tances.
Pour l’artiste suisse, le pri­vi­lège de l’art est de don­ner au regard — à mesure que le temps passe – l’idée de la perte ou de la tra­hi­son des illu­sions. Le geste de des­si­ner devient le moyen de dire l’amour et le désa­mour de l’existence. Dans ce livre, les des­sins crayon­nés accrochent d’emblée le regard par d’étranges « che­ve­lures » noires aux arma­tures d’angoisse. Il y a là une force directe du mar­quage visuel. Lequel résiste à l’usure et brouille les temps. Ecou­tons l’artiste : « nous étions vieux plus vieux regar­dant les jeunes jeunes plus jeunes regar­der les jeunes plus jeunes en tant que vieux plus vieux ». Preuve que le natu­ra­lisme en art n’a rien de solide et convain­cant. L’effet dra­ma­tique de l’art passe par une autre décli­nai­son. Ce qui n’empêche pas de recueillir en chaque être (ou son frag­ment) une énergie.

Celle-ci se construit ici à tra­vers un car­net résu­mant « par manque de temps » une urgence. L’artiste agit vite, de manière éco­nome et essen­tielle. Emane du fra­cas une panique. Le corps et le monde archi­tec­tu­ral sont pris ou agi­tés par un ensemble de traits et de courbes qui troublent la fixité. Ver­ti­ca­lité, immo­bi­lité éclatent dans une den­sité à laquelle les esquisses donnent tout un cha­ri­vari de direc­tions et d’oppositions.
L’art de Miriam Cahn est donc saisi dans toute sa ten­sion, loin de la psy­cho­lo­gie banale. Celle-ci est rem­pla­cée par une carac­té­ri­sa­tion abrupte des lieux, ani­maux, êtres. Tous deviennent des « coins » à l’intérieur des des­sins dans le jeu du sombre et de la lumière. De l’ensemble sur­git une mai­son de l’être bien plus com­plexe et angois­sante qu’il n’y paraît. Le poids de l’Histoire y fait son chemin.

jean-paul gavard-perret

Miriam Cahn, Nous étions vieux  (édi­tion tri­lingue), Sous emboî­tage, Edi­tion du Centre Cultu­rel Suisse de Paris, 2014.

 

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Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com, Poésie

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