D’une écriture savoureuse, forte en parfums et débordante de couleurs, l’auteur nous emmène à Pampa Union, au coeur du désert
Le roman de tous les mirages ne pouvait se passer que dans un désert. Au milieu du désert d’Acatama au Chili, donc, une ville surgie de rien, et qui durera ce que durent les hallucinations, Pampa Union. Babel sans église, point d’échouage d’aventuriers de tous les continents, trafiquants, commerçants, souteneurs et gourgandines, tenanciers de tripots, qui tentent de s’enrichir en fin de semaine en vidant les poches des mineurs venus se distraire. Forçats du travail sous un soleil brûlant, massacrés dès qu’ils se révoltent, noyés dès qu’ils se syndiquent, les mineurs exploitent les salpêtrières du désert dans des conditions infâmes, Pampa Union est leur seul lieu de débauche et de luxure.
Dans la grande nouba effrénée de cette ville et dans sa clameur, une jeune femme à la grâce délicate, Golondrina del Rosario. Son père, un coiffeur prolétaire et anarchiste, lui a fait donner une éducation aristocratique chez les sœurs. Élevée dans la poésie et la musique, Golondrina est devenue pianiste et professeur de déclamation, elle est aussi accompagnatrice de films, puisqu’on est en 1929 et qu’ils sont muets. Golondrina est un ange dans un enfer. À presque 30 ans, pas encore mariée, elle fait la rencontre d’un mirage nocturne, Bello Sandalio. Homme et fantôme. Pour tous sauf pour elle, c’est un trompettiste de jazz, musicien errant et bambocheur, venu rallier la fanfare locale. Pour la pure Golondrina, il est une apparition venue par les toits dans sa chambre, à laquelle elle succombe et se donne, par une nuit d’été noire et suffocante. Écart de conduite, chute de la chair. De cette passion secrète pour un inconnu et ses mélodies ensorcelantes, sa vie est bouleversée. Amant de passage, amant magnifique en tout cas, aux baisers amers de bière. Golondrina se meurt d’amour pour son séducteur. Elle ferait tout pour lui. Sur fond de répétitions de la Fanfare au litron — tous des pochards — elle acceptera même, déguisée en homme, de l’accompagner au piano dans un bordel.
Mirages de la passion, mirages du pouvoir aussi. Dans la ville en ébullition, la fanfare s’entraîne pour la visite du président de la République. Le père de Golondrina, en bon anar, monte un attentat contre le dictateur, qui échoue. La fanfare sera exécutée pour ce méfait. Quant à Golondrina, après avoir récité un Notre-Père, elle mourra d’amour en faisant sauter Pampa Union, ville du diable. Promesse faite à son père, promesse faite à elle-même. C’est l’anéantissement final d’un monde créé à coups de serpe. Après quarante ans d’existence chaotique, une ville morte de plus dans ce désert.
Disparue comme elle avait fleuri : du jour au lendemain.
Ainsi Herman Rivera Letelier chante son désert où les seules fleurs sont l’ombre des pierres. Il y a toujours vécu. Ouvrier puis employé, il fait son secondaire à 25 ans. À 54 ans, il obtient le Grand Prix de Littérature du Chili pour ses vingt et un premiers romans. Dans celui-ci, il nous embarque dans un univers brûlant dont il fouille les détails, embranchements et circonvolutions avec une richesse et une profusion de personnages merveilleux. L’écriture est savoureuse, forte en parfums et odeurs, débordante de couleurs et de notes. Il en est de ce livre bruissant, grouillant et agité, comme d’un bon repas trop généreusement servi : on en ressort repu, mais on a eu du mal à finir son assiette. Sieste obligatoire.
colette d’orgeval
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Herman Rivera Letelier, Mirage d’amour avec fanfare (traduit de l’espagnol par Bertille Hausberg), Editions Métailié, 238 p. — 9,50 €. |
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