James Morrow, Hiroshima n’aura pas lieu

Un récit sur­réa­liste et incisif !

James Mor­row, à tra­vers ses nom­breux romans, a acquis une répu­ta­tion d’auteur sati­rique usant de la SF pour déve­lop­per nombre d’allégories phi­lo­so­phiques. Avec ce livre, il mêle le cinéma Z et l’arme de des­truc­tion mas­sive, com­bi­nant avec bon­heur fic­tion et réalité.

Syms Thor­ley est un acteur de films fan­tas­tiques. Il anime ces monstres qui ont fait les beaux jours du genre dans les années 1930. Pen­dant l’été 1945, alors qu’il joue dans un cos­tume de latex le rôle de Cor­pus­cula, il est accosté par deux “Men in Black” de la Navy. Ceux-ci l’entraînent vers un com­man­dant qui lui explique qu’il doit col­la­bo­rer, en bon patriote, à une mis­sion ultra­se­crète cau­tion­née par le Dépar­te­ment d’État. Pour ame­ner le Japon à capi­tu­ler, des scien­ti­fiques ont fait muter d’innocents lézards en machines de guerre pra­ti­que­ment indes­truc­tibles. Mais, ces monstres sont incon­trô­lables. Les savants ont voulu réa­li­ser des modèles plus réduits, mais ceux-ci se révèlent, à l’inverse, inca­pables de la moindre agres­si­vité. L’option arme ato­mique est à exclure car l’uranium mili­taire est en rup­ture de stock pour au moins un an.
Pour épar­gner des vies les stra­tèges ont ima­giné une pré­sen­ta­tion de ces monstres modèles réduits, de leurs capa­ci­tés, sur la maquette d’une ville, devant une délé­ga­tion enne­mie, espé­rant les effrayer suf­fi­sam­ment. Le monstre des­truc­teur sera animé par un acteur, en l’occurrence Syms, qui accom­plira la des­truc­tion totale. C’est un rôle où il devra faire preuve de tout son talent pour être par­ti­cu­liè­re­ment convain­cant. Mais, même les plans les mieux pré­pa­rés peuvent tour­ner court…

L’auteur porte son regard sur plu­sieurs axes dans ce roman débridé, à l’humour frô­lant sou­vent le lou­foque. Il rend un hom­mage appuyé au cinéma classé Z, un cinéma de genre oublié de la cri­tique offi­cielle, où les films sont tour­nés en série, dans des condi­tions sou­vent som­maires, sur des scé­na­rios mini­ma­listes aux scènes redon­dantes. James Mor­row concocte une intrigue toute en finesse où il fait preuve de son talent à glis­ser dans un cadre authen­tique une fic­tion qui a tous les accents de la réa­lité. Il mul­ti­plie, au fur et à mesure de la pro­gres­sion de son his­toire, pirouettes et de coups de théâtre qui per­mettent de recol­ler à l’histoire offi­cielle.
Si son récit peut, à pre­mière vue, paraître tota­le­ment fan­tai­siste, voire déjanté, l’auteur s’appuie sur des bases très sérieuses et une connais­sance appro­fon­die d’un milieu et d’une époque. L’idée d’utiliser des ani­maux comme arme relève à la fois de la fic­tion, de ces nom­breux films où des savants, en géné­ral fous, concoctent des monstres dévas­ta­teurs, mais aussi d’une bien triste réa­lité dans les labo­ra­toires secrets des armées.

Le roman­cier fait preuve d’un bel huma­nisme en dénon­çant les bom­bar­de­ments d’Hiroshima et de Naga­saki, pro­po­sant une solu­tion qui aurait eu le mérite d’épargner des vies d’innocents. James Mor­row base son intrigue sur des notions huma­nistes que les pro­ta­go­nistes de l’époque n’ont sans doute jamais eues, trop impa­tient de mesu­rer la capa­cité de des­truc­tion de leur “jou­jou”. Mais  il pointe du doigt, éga­le­ment, ces jusqu’au-boutistes sacri­fiant des popu­la­tions pour “le plai­sir” de l’héroïsme, et ce d’une façon déta­chée car ils ne sont pas concer­nés, ne ris­quant pas de mou­rir sur un champ de bataille, bien à l’abri dans leur États-majors.
Avec Hiro­shima n’aura pas lieu, James Mor­row ajoute à sa biblio­gra­phie un nou­vel opus plein d’humour, ico­no­claste, éru­dit, et d’une grande huma­nité. À décou­vrir absolument.

serge per­raud

James Mor­row, Hiro­shima n’aura pas lieu, Phi­lippe Rouard et Chloé Huc­teau pour la tra­duc­tion de l’anglais (États-Unis),  Au diable vau­vert, avril 2014, 256 p. – 18,00 €.

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