Sur les ruines d’une terre dévastée, l’espoir…
Ce roman, comme le précédent, a pour cadre Providence, cette ville mythique chère, par exemple, à Lovecraft. C’est l’endroit où s’est réfugiée Mélaine, après la mort de son époux, avec Vera sa petite fille. C’est une ville désolante, désindustrialisée, où pèse le défaitisme. Vera va appréhender le monde à travers le prisme d’Asperger. Elle va grandir avec cette maladie de l’introversion comme elle l’appelle. Elle va progresser seule car rejetée par les autres enfants qui la surnomment La Gogole. Elle développe son propre univers en se réfugiant dans un lavoir en ruines ou dans le garage d’un oncle d’adoption. Là, elle s’invente une nouvelle existence.
Sa vie va basculer quand une multinationale, Goliath, va installer des unités de production. Elle va devoir gérer un certain nombre de drames qui vont lui insuffler une haine contre cette unité économique qui veut modifier l’environnement. Avec l’aide de quelques jeunes, elle entre en rébellion, entre dans une lutte disproportionnée…
Ce nouveau roman s’inscrit dans la lignée de Nous rêvions juste de liberté où l’auteur interrogeait les rapports aux autres, le sentiment d’amitié. La bande à Hugo va réaliser ce rêve en fuyant Providence pour traverser le pays en moto. Ils vont former un clan où l’indépendance et l’amitié seront force de loi, pour le meilleur et pour le pire, car découvrir la liberté se paie cher.
Avec Pour ne rien regretter, l’essentiel du récit passe par Vera, la narratrice-héroïne pour évoquer les rapports à notre société, dite occidentale, à l’environnement dans son ensemble.
Sorte de conte philosophique, fable écologiste, ce nouveau combat de David contre Goliath soulève l’enthousiasme. Dans le pessimisme actuel où baigne la France, Henri Lœvenbruck imagine un récit, à l’inverse de trop de dystopies, où un avenir offre l’opportunité de d’améliorer une qualité de vie, d’accroître les libertés plutôt que les restreindre, ce courant qui se répand trop.
Avec son héroïne, cette jeune femme à part, il observe le monde sous un angle différent, usant de fraicheur voire de naïveté. Pour le romancier, Vera incarne la jeunesse d’aujourd’hui en quête d’un avenir souhaitable, coupant les liens avec les erreurs du passé pour construire une société plus juste.
Les dérives sociétales et environnementales décrites sont bien connues. L’auteur souhaite, sur les pas d’une héroïne bien attachante, montrer qu’un futur plus favorable peut être construit plutôt que celui des corporations du Tech qui n’ont qu’un seul but, le profit, peu importe le prix. Il donne à Véra une façon de s’exprimer un peu malhabile, proposant des expressions déformées, des jeux de mots savoureux.
Un nouveau roman où l’humour décalé le dispute à la poésie — Henri Lœvenbruck n’est-il pas un tenant de Georges Brassens — pour une vision plus enthousiasmante que celle que le monde actuel propose ? Et cela fait un bien fou !
serge perraud
Henri Lœvenbruck, Pour ne rien regretter, XO Éditions, coll. “Romans”, octobre 2024, 336 p. — 21,90 €.