Avec un art du récit et de la répartie…
Avec cette série, le scénariste veut ancrer ses récits dans la réalité, parler du monde tel qu’il est, tel qu’il évolue, en bien et en mal. Dans ce tome, il évoque la transmission entre générations, montrant les liens qui peuvent se tisser ou se défaire entre des grands-parents et leur descendance. Mais il souhaite aussi montrer à travers ses personnages, aux caractères bien différents, qu’il n’y a ni gentils, ni méchants, que des individus porteurs chacun d’une face lumineuse et d’une face sombre plus ou moins visible. Personnellement, j’ai beaucoup de mal à extraire un poutine, un trump, du camp des méchants.
Wilfrid Lupano joue à merveille avec un phénomène bien connu en psychologie, la vérité n’existe pas dans les souvenirs. Ils sont réinterprétés, quasiment modifiés à chaque récit. Alors que penser des autobiographies ? Ne sont-elles pas à prendre avec beaucoup de recul !
À Montcœur, c’est l’été. La canicule entraîne une telle sècheresse que le fond de l’étang de la Gibelette est presque à nu. Mais ce n’est pas la météo qui va empêcher Sophie de fêter les soixante ans du Loup en slip, ce théâtre itinérant de marionnettes crée par Lucette, sa grand-mère disparue.
C’est l’occasion de revivre les événements de l’époque. Antoine raconte à sa petite-fille comment ils sont tombés amoureux… en prenant quelques libertés avec la réalité. Pierrot arrive aussi, mais ce vieil anar a une attitude bien déroutante. À peine descendu du bus, il se précipite… à l’église ! Or, le vrai est en garde à vue, en attendant une comparution immédiate suit à un litige pour un café. Quant à Mimile, il prend la pose avec l’équipe de rugby car un de ses cadets intègre le club de Toulouse.
Mais cette atmosphère festive va vite déraper avec une invitée surprise, l’émergence de rancunes toujours nourries, un bracelet électronique…
De nombreux traits d’humour, de situations hilarantes, émaillent l’histoire. Que ceux-ci soient bon enfant, voire potaches, ou cinglants, ils font mouche. La scène où Pierrot essaie de commander un café avec les procédures informatiques modernes est désopilante mais terriblement effrayante pour un avenir totalement commandé par des machines. Celles-ci ne servent plus l’homme mais c’est lui qui se plie à leurs diktats. La vignette où Pierrot montre son bracelet électronique en disant : “Le même que Balkany !”, retrouve un trait politique.
Le dessin est assuré depuis le début de la série par Paul Cauuet et la mise en couleurs par Jérôme Maffre depuis le tome 5. À eux deux, ils signent un graphisme puissamment expressif qui impulse un relief singulier au récit.
Ce huitième tome est aussi un anniversaire puisque la série a débuté en 2014. Souhaitons longue vie à ces trois héros et à leur entourage. Mais ils vieillissent ! Alors profitons au maximum de leur présence.
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serge perraud
Wilfrid Lupano (scénario), Paul Cauuet (dessin) & Jérôme Maffre (couleurs), Les Vieux fourneaux — t.08 : Graines de voyous, Dargaud, novembre 2024, 56 p. — 15,00 €.