Le meilleur jeu de SF acide de toutes les planètes satiriques
Développé par Typhoon Studios, basé à Montréal et fondé par des anciens développeurs de la boîte de production française triple A, Ubisoft, entre 2018 et 2020, Journey to the Savage Planet est un jeu d’action-aventure, de type Metroidvania1, en vue à la première personne qui vous propose l’immersion en 3D dans le corps d’un employé dont la vie, grâce au merveilleux système ancestral qu’est la dette, appartient à une multinationale pour laquelle vous devez travailler jusqu’à pouvoir racheter votre liberté, dans environ trois cents milliers d’années.
Bon, dit comme ça, on ne voit guère de différence avec notre réalité quotidienne, mais, imaginez : plutôt que de travailler dans un bureau monochrome entouré de collègues fourbes et médisants, passant vos journées à affronter votre chef qui vous harcèle à cause de la médiocrité de votre productivité économique et de votre comportement pas assez soumis, vous êtes sur une exoplanète colorée, peuplée de créatures hostiles où le moindre relief est un piège mortel et où chaque boss a envie de vous voir agoniser dans d’atroces souffrances.
Et à chaque retour à votre vaisseau, lequel s’est lamentablement écrasé pendant l’atterrissage, le PDG en personne vous envoie, depuis la Terre, ses directives ou ses remontrances, entre deux publicités complètement absurdes, le tout, en québécois !! Heureusement, vous n’êtes pas seul ; une IA est à vos côtés pour vous venir en aide afin que vous puissiez plus facilement réaliser les tâches liées à votre emploi. N’est-ce pas formidable ? Et elle aussi, parle en québécois ! D’ailleurs, elle n’omettra pas de commenter, de manière particulièrement sarcastique et allègre, votre épouvantable incompétence ! Que de joie, mes amis ! Mais plus encore, si vous avez la chance de connaître un mate2 esseulé qui ne craint ni l’aventure, ni l’humour débile ô combien satirique, il pourra partager avec vous les joies de l’exploration, de la lutte pour la survie et prendre des photos de votre cadavre, avant de vous cloner ! Merveilleux !
Alors oui, les critiques aiment à pointer du doigt les combats trop faciles contre les boss. Effectivement, une fois que l’on a découvert leur pattern3, et il se comprend assez facilement (après observation, si vous êtes du genre prudent, ou après deux ou trois pitoyables trépas, si vous êtes du genre fonceur), les affrontements de boss ne sont pas des obstacles. Mais bon, on n’est pas dans un Dark Souls4, les gars ! Le but est clairement d’avoir du fun et de réfléchir. Oui, parce que c’est possible de lier les deux ; incroyable !!
Le joueur devra en effet réfléchir à la gestion des ressources pour avoir les upgrade les plus utiles au bon moment, réfléchir aux petits puzzles de l’environnement ou réfléchir à la façon dont notre société est devenue si extrêmement stupide qu’elle en est à ce point de ridicule que le rire est votre seule échappatoire, avant le suicide… Vous pourrez également vous moquer sans honte, voire vous déchaîner en toute impunité, de cette flopée de créatures affreusement loufoques, mais aussi admirer la beauté et la fluidité du level design5, savourer la sensation grisante de vitesse et de découverte d’un véritable exobiote, tout en vous délectant de la joie d’être un archéologue policier remontant la piste mystérieuse de ceux qui l’ont précédé, au son d’une musique enjouée et discrète qui ne fait pas d’ombre aux curieux bruissements de toute cette faune et flore bien étrange…
Pour conclure, c’est exactement comme si Frederik Pohl et Cyril M. Kornbluth avaient décidé de poursuivre Planète à gogos à travers un jeu vidéo ! Ce petit jeu n’a aucune prétention et pourtant, il brille comme une supernova grâce à un univers déjanté et satirique, sur fond de message subtilement anticapitaliste, une direction artistique originale et unique, autour d’une exploration non-linéaire et drôle. Le DLC, Garbage Planet, permet de pallier, quelque peu, le seul défaut du jeu : sa faible durée (comptez 15 heures pour la mission principale ; 20 heures pour tout explorer et collecter, sachant que la rejouabilité se limite aux modes solo et duo).
Mon conseil : Si vous avez un mate qui est bon délire, jouez d’abord en multi, pour le fun de la découverte WTF, et ensuite, en solo, pour prendre le temps de découvrir l’histoire et la savourer personnellement à sa juste valeur.
Le petit plus qui fait toute la différence : Le fait de pouvoir incarner un chien bipède, évidemment ! Ce plaisir suprême que l’on ressent chaque fois qu’on s’entend émettre un couinement de douleur à chaque perte de PV, un “rhof” à chaque saut et un halètement canin à chaque fois que l’on est à bout de force !
Qu’est devenu notre petit studio indépendant ? Hé bien, mes amis, j’ai le regret de vous annoncer qu’il a été dévoré par le capitalisme à partir de 2019, date de son rachat par Google, plaçant Typhoon Studios sous la tutelle de Stadia Game & Entertainment, laquelle a fermé en 2021, entraînant dans son naufrage la dissolution de l’équipe aux commandes de Typhoon Studios. Ah, les joyeuses turpitudes des fusions et acquisitions…
S’il ne reste donc plus grand-chose de sa dépouille, les membres fondateurs de Typhoon Studios ne se sont pas avoués vaincus pour autant, et ont créé Raccoon Logic en 2021, tout en récupérant les droits de Journey to the Savage Planet. Et, miracle ! Voici que le studio annonce, en août 2024, la sortie très prochaine de leur deuxième opus, Revenge of Savage Planet, prévue en 2025, lequel semble déjà promettre de surpasser le premier… Espérons toutefois que l’équipe se préserve pour toujours de la folie du triple A et ne sacrifie jamais ses valeurs pour le profit, et ça, c’est moins sûr.
sophie bonin
1 Genre de jeux vidéo qui combine des éléments des jeux Metroid et Castlevania, caractérisé par l’exploration non-linéaire d’une carte connectée. En obtenant de nouvelles capacités ou objets spéciaux, le joueur pourra accéder à des zones auparavant inaccessibles, favorisant la découverte et le retour en arrière. Le gameplay repose souvent sur les combats, l’exploration et les énigmes environnementales, avec une montée en puissance progressive du personnage.
2 Apharèse de “teammate” : désigne un coéquipier pour les jeux dits en “coop” (apocope de coopération) ou multijoueurs en ligne.
3 Comportement répétitif ou prévisible d’un ennemi, d’un boss, ou d’un élément du jeu. Cela peut être une séquence d’attaques ou de mouvements que le joueur doit observer, mémoriser et anticiper pour réagir de manière optimale.
4 Du jeu éponyme, Dark Souls. Désigne un genre de jeux vidéos connus pour leur difficulté extrême, des combats exigeants, des mécanismes de mort punitifs, mais justes, qui encouragent la persévérance, une progression basée sur l’apprentissage des patterns ennemis, et une gestion des ressources stricte, le tout dans un univers sombre et mystérieux, où l’histoire est racontée de manière indirecte à travers l’environnement et les objets.