Jean-David Morvan, Emmanuel Moynot & Benoit Lacou, L’Armée des ombres — D’après le grand récit sur la Résistance de Joseph Kessel

Un récit-reportage ter­rible sur l’année 1943

Dans une inter­view don­née à des jour­na­listes de Com­bat, pour l’édition algé­roise du 31 octobre 1943, Joseph Kes­sel spé­ci­fie : “C’est une his­toire vraie que je raconte, je n’invente rien. J’ai fait œuvre de repor­ter, tout sim­ple­ment.” Lui-même rebelle, il a vécu de longs mois à Paris avec ceux de la Résis­tance qui se struc­tu­rait. L’Armée des ombres est le pre­mier livre de l’histoire de cette Résis­tance. L’auteur l’a écrit entre avril et août 1943, publié par les édi­tions Char­lot, sises à Alger, en novembre 1943.
Joseph Kes­sel a choisi de pré­sen­ter la Résis­tance sous de mul­tiples facettes, dans tous ses états en quelque sorte en com­po­sant son récit de faits réels trans­po­sés en fic­tion. Il découpe son ouvrage en huit épi­sodes com­po­sés autour de la figure de Phi­lippe Gerbier.

Le récit com­mence quand un ano­nyme aide Ger­bier à s’évader d’un camp, en Haute-Vienne, pour rejoindre Le Bison. Quelques semaines plus tard, à Mar­seille, Paul Don­nat retrouve Ger­bier. Paul a trahi, il l’a livré, ainsi que son radio, parce que Fran­çoise a été arrê­tée. Ger­bier n’aurait pas dû conti­nuer à l’employer dans le réseau mais il y a si peu de monde et tant de mis­sions à accom­plir. Il faut le tuer… de sang-froid.
Puis, ce sont les arres­ta­tions, les fuites, l’organisation des réseaux émer­geants, une vie sur la corde raide à pas­ser d’une planque à une autre, à chan­ger d’identité. C’est aussi la mise en valeur de tous ces ano­nymes qui donnent un petit coup de main, hébergent une nuit, donnent une mau­vaise infor­ma­tion aux sol­dats et poli­ciers, teintent les cheveux…

Joseph Kes­sel, écri­vain réputé à la car­rière déjà longue, révé­lera que c’est le livre sur lequel il a le plus peiné, celui qui l’a laissé le plus mécon­tent. En effet, il fal­lait que tout soit exact et, en même temps que rien ne fut recon­nais­sable. Il a dû maquiller les visages, cacher les ori­gines des per­sonnes, mélan­ger des faits, dis­si­mu­ler les secrets d’une attaque, d’une défense. Mais sa crainte était double, d’abord qu’on iden­ti­fie les acteurs, puis, à force de les cacher, ne perdait-il pas la véri­table per­son­na­lité de cette femme, de cet homme, ne dénaturait-il pas leur cou­rage, leur abnégation ?

Jean-David Mor­van, depuis une dizaine d’années, scé­na­rise beau­coup de récits de guerre, met en lumière des témoi­gnages dont, tout der­niè­re­ment, celui de Made­leine Rif­faud. Il retrans­crit avec un soin méti­cu­leux l’esprit du livre, les ten­sions de ces actions clan­des­tines, l’ambiance des dan­gers, la crainte de l’arrestation, l’atmosphère que fai­saient peser les enva­his­seurs et leurs com­plices action­nés par le gou­ver­ne­ment de Vichy.
Les dia­logues cise­lés donnent une puis­sance au récit. Des mots simples, cou­rants pour par­ler de situa­tions assez banales si elles se dérou­laient dans un autre contexte.

En page inté­rieures de cou­ver­tures, on trouve les paroles du célèbre Chant des par­ti­sans. Elles sont tirés d’une chan­son d’Anna Marly, d’origine russe, retra­vaillées à Londres par Joseph Kes­sel et Mau­rice Druon, son neveu, et chan­tées par Ger­maine Sablon, sa com­pagne. Un cahier his­to­rique de Tho­mas Fon­taine, doc­teur en his­toire, retrace, en paral­lèle les écrits de Kes­sel et les faits réels, les repre­nant avec une belle pré­sen­ta­tion ico­no­gra­phique.
Le gra­phisme syn­thé­tique, effi­cace, d’une belle toni­cité, se par­tage entre Emma­nuel Moy­not pour les des­sins, Benoît Lacou pour les décors, Oshima Hiroyuki, Ali­zée Ber­the­loot et Adèle Mar­tin pour la couleur.

Apres le film de Jean-Pierre Mel­ville, au titre épo­nyme, servi par les fan­tas­tiques Lino Ven­tura et Simone Signo­ret, cette bande des­si­née remet à l’honneur une période dan­ge­reuse si bien décrite par un auteur et un scé­na­riste au talent indéniable.

serge per­raud

Jean-David Mor­van (scé­na­rio), Emma­nuel Moy­not (des­sin), Benoit Lacou (décors), Oshima Hiroyuki, Ali­zée Ber­the­loot et Adèle Mar­tin (cou­leur), L’Armée des ombres — D’après le grand récit sur la Résis­tance de Joseph Kes­sel, Phi­léas, octobre 2024, 120 p. — 22,90 €.

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