Hervé Picart, Au jardin du Temps

Une pépite littéraire !

Hervé Picart a déjà fait montre de son goût pro­noncé pour les objets inso­lites, voire mys­té­rieux. Il régale ainsi ses lec­teurs avec les douze volumes de son incom­pa­rable série L’Arcamonde où Frans Bogaert, un anti­quaire, tient bou­tique à Bruges. (Ama­zon, en ver­sion papier et for­mat Kindle)

Ben­ja­min Van­de­velde veut chan­ger d’existence après avoir pen­dant quinze ans, à Paris, exercé ses talents comme spé­cia­liste du droit des affaires, pré­da­teur juri­dique. Il a acquis, à Saint-Mest, la bou­tique d’Abel le Tal­lec Au Jar­din du Temps sise Pas­sage des File-au-Vent dans la par­tie de la ville enser­rée dans des rem­parts, dénom­mée Le Ber­ceau. Il va vendre tout ce qui se rap­porte au temps, les ins­tru­ments de mesures divers et variés, des alma­nachs, calen­driers, recueils…
Il s’adapte bien à sa nou­velle vie, décou­vrant avec plai­sir sa pré­sente acti­vité et les étranges objets de sa bou­tique. Il accède à des lieux ori­gi­naux où il fait bon vivre, ren­contre une belle gale­rie d’autochtones aty­piques. Depuis qu’il est à Saint-Mest, il a des rémi­nis­cences d’enfance. Il revoit cer­taines scènes, des lieux qu’il ne réus­sit pas à situer. Trou­blé, il consulte un étrange per­son­nage qui le ras­sure, diag­nos­ti­quant une patho­lo­gie légère.

Il lui arrive, de plus en plus sou­vent, dans une conver­sa­tion d’employer un nom, d’évoquer un endroit, un objet dont il ignore tout. S’il est sur­pris il ne s’en inquiète pas. Et quand il s’aperçoit que des tâches qu’il veut effec­tuer sont déjà réa­li­sées, que ses inter­lo­cu­teurs sont déjà infor­més de ce qu’il veut leur dire, il reprend contact avec son spé­cia­liste, crai­gnant d’avoir un jumeau inconnu ou d’être la cible d’un vardø­ger.
Mais quand son pré­dé­ces­seur dans le maga­sin lui annonce que la bou­tique recèle un secret et qu’il lui faut le découvrir…

Avec ce héros qui, de loup, devient presque mou­ton tant il a oublié ses pra­tiques du droit à la limite de la léga­lité, le roman­cier pro­pose une plon­gée dans un cadre rétréci et dans une étude psy­cho­lo­gique appro­fon­die d’une société enco­con­née. Il retient le décor d’une ville côtière, où les gens vivent encore en bonne intel­li­gence, qui rap­pelle for­te­ment Saint-Malo. Il s’intègre avec faci­lité mais sa quié­tude est trou­blée par ces faits sur­pre­nants, inso­lites.
Il va devoir en trou­ver la cause avant que ceux-ci débouchent sur une patho­lo­gie trop grave. Ses liens sen­ti­men­taux dis­ten­dus l’amènent à vou­loir renouer une rela­tion tendre. Il espère la trou­ver avec la libraire, cette dame qui l’amène peu à peu à la lec­ture d’autres choses que les trai­tés de droit. Or, il semble que cela ne soit pas possible.

Hervé Picart ins­talle une intrigue sub­tile, tout en déli­ca­tesse, en usant d’éléments psy­chiques, psy­cho­lo­giques et patho­lo­giques peu com­muns. Il consti­tue une gale­rie de por­traits ori­gi­naux, des per­son­nages bien sin­gu­liers comme la Vigie, Dodoc, Dieu… Il ordonne des aspects sau­gre­nus dans cer­taines situa­tions et décrit des objets au fonc­tion­ne­ment mys­té­rieux.
Le récit laisse une belle part à l’humour, un humour léger, aux réflexions cocasses et aux images per­cu­tantes. L’auteur ne résiste pas au plai­sir de faire un bon mot, de poin­ter de façon assas­sine quelques tra­vers de notre société ou de nos contem­po­rains. Il use avec maes­tria de la méta­phore, de la péri­phrase, de la tour­nure élé­gante, du trait d’esprit qui fait mouche. Par exemple : “Il fai­sait un temps à ne réjouir que les éponges.” ou “Tout se pas­sait s’il n’était pour elle qu’une sorte de rap­peur à alpha­bé­ti­ser…
Il intègre des légendes, des cou­tumes peu usuelles, des rumeurs… Le tout est servi par une écri­ture raf­fi­née, met­tant en valeur un voca­bu­laire relevé, sou­tenu, aux termes par­ti­cu­liè­re­ment choi­sis. Chaque cha­pitre porte en titre le nom d’une sainte ou d’un saint ayant bien som­bré dans l’oubli et une maxime truculente.

Au Jar­din du temps (titre emprunté à James Gra­ham Bal­lard) est un livre éton­nant, un OVNI lit­té­raire qui fas­cine, séduit, qu’on a plai­sir à lire et à relire tant le contenu est riche. Un ouvrage à décou­vrir absolument !

serge per­raud

Hervé Picart, Au jar­din du Temps, uni­que­ment sur com­mande et en ver­sion papier, sur les prin­ci­pales plates-formes de vente en ligne, direc­te­ment sur le site de BoD rubrique librai­rie, ainsi que dans toute bonne librai­rie telle la FNAC, novembre 2024, 272 p. — 12,99 €.

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Filed under Chapeau bas, Romans

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