Engendrements et actes intransitifs en milieu de dispersion
Chaque séquence de ce nouveau recueil de poèmes compose des indices nés d’une ignorance. Leur dispersion est montée comme une architecture (ou « comme une avant-forme», précise Claude Royet-Journoud.) Et dans cette structure, ce qui suit est aussi ce qui précède. Soit l’état premier d’une chose à peine sensible où « les choses tombent d’une respiration », les mouvements aussi. Et le tout à partir d’une communauté primitive : « ces actes-là /on y entraîne les enfants /ils se servent/ « blocs », « dalles », « poutres » de cette manière-là ».
Mais il y a aussi, dès les temps premiers, la bête qui se nomme rat, sanglier, etc. dont paradoxalement des ressemblances s’accentuent au besoin en retournant le vocabulaire. Mais existe dans ce labyrinthe ou déambulation l’aventure d’un corps (celui du poète ?) qui, entre vers et proses, tente de pénétrer ou de franchir un obstacle instable.
Certes, le mot montre une chose (par exemple une pierre) mais son existence tient de la finitude de telles choses simples sans que son usage soit complété du moindre attribut du cœur. Cette chose n’est ni même de la buée et de la « végétation absente » (note le poète). Ce qui se joue ou s’avance devient un égarement sourd en quête d’une autre scène où des bêtes établissent la mesure du désir. Mais tout reste caution à la vérité. Ce qui demeure est une interrogation dans autant de renversements que de présumés obstacles.
De fait, rien ne s’approche même si des classifications sont souhaitées (qu’elles soient d’organes, d’éléments ou de membres). Et ce, en un mouvement autant de va-et-vient que de zigzags en un « jeu carcéral de ces détours », moins que de sorties dans « la disposition des surfaces / Mutilées » et des archivages de noms mais dont le mot signifiant n’est jamais pensé. Celui qui se dit conscient, de fait, « ignore le silence des objets ». Il surveille (vaguement) des lieux et attend avec comme arme au poing « le couteau humidifié de l’ombre ».
D’où l’ambition d’un tel « héros » et/ou propos : elle transfère, donne consistance, épure le chaos pour ordonner l’essentiel qui nous échappe - du moins théoriquement. Et voilà ce que vont lui réserver les mots d’une certaine façon pour reprendre à zéro et pour percevoir une logique par leurs dérives sournoises. Est-ce là comprendre non sa propre existence mais la vie des mots ? Nul ne sait sinon la vraie croyance d’un écrivain empêtré dans le silence quotidien de sa parole mais pour retrouver un fil perdu, un fil caché et allumer le labyrinthe du sens dans les mots où il faut plonger.
C’est à la fois un pari, une fidélité, une envie et surtout une nécessité douteuse.
jean-paul gavard-perret
Claude Royet-Journoud, Une disposition primitive, P.O.L, Paris, 2024, 96 p.- 18,00 €.