Cette édition centenaire des Manifestes du Surréalisme de Breton est un recensement de tirage spécial et parfait. C’est comme se rapprocher de ce Kamtchatka théorique écrit à la fois au télescope comme au crépuscule. Cette édition documente ces textes de combat de 1924 à 1962 pour leur édition définitive. Mais La Pléiade ajoute quelques ouvertures intéressantes sur de tels brûlots parfois encore salués, parfois oubliés ou critiqués. Se prolongent la mobilité de la pensée de Breton et la perpétuelle diversité de ses convictions.
Son premier manifeste du Surréalisme fut publié le 15 octobre 1924 au Sagittaire chez Simon Kra à Paris. Et Breton fonde son école (dont il allait devenir « Pape »), en précisant qu’il cultive “un certain automatisme psychique qui correspond assez bien à l’état de rêve, état qu’il est aujourd’hui fort difficile de limiter”. Mais cette judicieuse édition crée des effets de pans et de reflets, d’un texte à l’autre dans la pensée de Breton — en particulier lors des versions d’après-guerre..
Certes, il serait vain de chercher grief au créateur . Mais à chacun de se battre avec ces textes et non sur des attitudes supposées. Ce qui n’empêcha pas au surréaliste belge Paul Nougé — exclu sine die du groupe germanopratin — d’estimer$ les Manifestes tels des précipités « théoriquards histoire de ne pas rire ». Et de rappeler que la bourgeoisie intellectuelle et parfois universitaire trouva une forme de liberté entretenue au gratin marxiste.
Néanmoins, cette nouvelle édition nettoie nos lunettes en zieutant sur le lit défait des Manifestes, parfois des éboulis ou des aisselles négligées. Il n’empêche que l’ensemble reste des successions d’étoiles nues toujours sur le bureau d’un écrivain là où s’allume cette nouvelle édition en plafonnier.
Les Manifestes, vu leur âge, sont d’une certaine manière vieux dans le secteur de l’art et de la poésie. Mais ils sont loin de commencer à fatiguer. Les créateurs et lecteurs font leurs griffes dessus. Preuve que les vivants le restent sans s’asseoir sur de tels textes.
Ce qu’a émis Breton reste un constant progrès et sans préjudice dans cette accumulation de théories sur ce livre ouvert sur un certain cristal. Il ne suffit pas d’y mettre un pied dehors et ne plus oublier de garder les clés de Breton. Elles ont ouvert un monde.
jean-paul gavard-perret
André Breton, Manifestes du surréalisme, Tirage spécial, Préface de Philippe Forest, Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade, 19-09-2024, 1184 p. — 64,00 €.