Ghislaine Verdier est une femme d’exception. Sous L’oeil de la femme à barbe, elle est éditrice de livres d’art qu’elle réalise en collaboration étroite avec les artistes. Depuis 2014, elle a édité 25 livres (3 nouveaux vont sortir en octobre 2024). Dans tous ces livres, les œuvres sont toujours au point de départ et au centre du projet éditorial ; elles sont accompagnées de textes écrits sur plusieurs modes : critique, poétique, historique, fictionnel.
Mais sans une telle « réalisatrice » rien de ce qui a lieu ne serait si fort. Tout ce qu’elle élabore n’a rien d’artificiel est et construit dans l’esprit de la cohérence. D’où la subtilité des ouvrages publiés : des éclisses de mots forment le corps de chaque livre et il semble toujours premier, inaugural là où il se dresse par des images d’œuvres surprenantes.
Tous les livres et tous les artistes sur son site : https://loeildelafemmeabarbe.fr/ à la rubrique Artistes ou Librairie.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’amour que je porte à mes chats et les projets avec les artistes, qui illuminent ma vie.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Celui d’être vétérinaire est mort et enterré depuis longtemps. Celui de faire ce que j’aime est toujours d’actualité et j’espère que ça va durer encore un moment !
A quoi avez-vous renoncé ?
A devenir riche, ça c’est sûr… Sinon, je ne renonce pas facilement.
D’où venez-vous ?
De Vénus, car je suis une femme, et de Mars aussi car j’ai le goût de la bagarre !
Qu’avez-vous reçu en dot ?
L’engagement politique, la méfiance vis-à-vis des croyances trop faciles, le mépris de la lâcheté , l’ignorance de la foi religieuse et une grande difficulté à obéir aux ordres.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Un certain confort matériel et le rêve de devenir riche.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Je suis très attachée aux menus plaisirs que j’essaie de savourer chaque jour : un apéro en terrasse avec des amis, un bon livre, une pinte de rire, voir ma fille, aller au musée, voir une expo, acheter une œuvre d’art… Si à chaque jour suffit sa peine, à chaque jour il faut son petit plaisir ; faute de quoi, on s’étiole.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Heuuu… Je n’ai pas le sentiment d’être « artiste » bien que mon métier d’éditrice de livres d’art m’en rapproche. En fait, je me nourris de l’art des autres, je fais mon possible pour le mettre en valeur… je suis au service des artistes et ça me rend fière et heureuse. Je n’aime pas beaucoup l’humanité (loin s’en faut !), mais pour moi, c’est l’art qui la « rachète ».
Quelles musiques écoutez-vous ?
Classique, rock, jazz, chanson française…
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je ne relis pas beaucoup mes livres. Je savoure par contre le plaisir de découvrir des auteurs ou des titres que je ne connaissais pas. Je m’adonne à ce que j’appelle la « lecture d’opportunité » au gré de ce que me propose la boîte à livres d’échange, juste à côté de chez moi. Par contre, j’ai beaucoup de mal à me séparer d’un livre que j’aime, même si je ne le relis pas. Ce serait presque du fétichisme.… En fait, je suis fétichiste.
Quel film vous fait pleurer ?
Les films animaliers, car la faune paie un lourd tribu à notre mode de vie et je souffre de la souffrance que nous infligeons au reste du monde vivant. Par contre, le romantisme un peu dégoulinant et les films à l’eau de rose me font bien marrer, quand ils ne m’endorment pas !
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez vous ?
Je vois une personne déterminée, une femme à barbe avec sa barbe à l’intérieur ! Peut-être pas facile à vivre tous les jours… mais les chats ne m’en tiennent pas rigueur !
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je ne crois pas n’avoir jamais osé écrire à qui que ce soit. En fait, j’ose facilement en général, sauf quand il s ‘agit de me mettre en avant. J’adore cette réplique d’Audiard dans le film Les tontons flingueurs : « Les cons, ça ose tout ! C’est même à ça qu’on les reconnaît. »
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le vrai lieu mythique serait celui où l’homme n’existerait pas, puisque l’humanité s’emploie à détruire systématiquement son environnement.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
J’aime les artistes libres et débarrassé·ées de l’académisme, les bricoleurs·euses, les bidouilleurs·euses, celles et ceux qui mettent des coups de pied dans la fourmilière, qui renversent la table, juste avec leur art ! Les artistes femmes surtout, celles qui abordent à bras-le-corps la notion de féminité, C’est la raison pour laquelle je m’intéresse beaucoup à l’érotisme traité par les femmes… J’ai fait une mission de 6 mois au Musée de l’Erotisme à Paris et j’ai eu tout le loisir de comparer et de réfléchir. Je m’éloigne peut-être de la question, mais tant pis ! Les femmes artistes arrivent à traiter de la jouissance quand elles sont dans l’érotisme. Les hommes (pour la plupart) ne traitent que de leur fantasme sur la jouissance des femmes… Et c’est chiant !
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une surprise. J’aime les surprises. Sinon un billet gagnant de la loterie…
Que défendez-vous ?
La justice égale pour tout le monde vivant et la liberté : de vivre à sa guise dans le respect des autres, de penser ce que l’on veut sans rendre de comptes, d’aimer qui l’on veut et de jouir sans entrave.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
Moi j’ai envie de dire : L’amour n’est pas supposé attendre quoi que ce soit en retour. C’est une forme de don de soi dont l’autre fait ce qu’il veut, y compris rien. L’amour que l’on porte à ses enfants, que je porte à ma fille et aux animaux est de cet ordre : inconditionnel.
Enfin que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Drôle ! Mais par principe (ou par mauvais caractère…) j’aurais plutôt tendance à dire : « La réponse est non, mais vous pouvez répéter la question ? »
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Celle à laquelle je n’ai pas de réponse peut-être…
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 25 août 2024.