Une parabole singulièrement facétieuse
Ce roman qui paraît dans la collection Cobra des Éditions le cherche midi est très original et empreint d’une noirceur quant à l’avenir. Il correspond, cependant, à l’esprit de la collection qui veut proposer des textes atypiques, voire dérangeant par rapport à la doxa lénifiante qui s’impose à un rythme soutenu.
Alors que brûle la grande cathédrale de France, Satan monte avec la fumée pour contempler le panorama de son apothéose en détruisant un emblème de ses opposants. Mais il est insatisfait. Il lui faut plus ! Il pense alors à formater le genre humain en s’en prenant à ses racines, c’est-à-dire l’éducation. Il se tourne vers l’E.T. — l’Enseignement pour Tous. Il choisit Patrice Désormais, un inspecteur pédagogique régional de lettres, connu pour ses engagements en faveur d’une école du numérique et de la bienveillance.
Théophile, le fils unique d’un couple de diplomates, a fait ses études dans les différents pays où ses parents officiaient. Après son passage à l’E.S.P.E., il va faire sa première rentrée comme professeur-stagiaire. Il veut faire comprendre et aimer les grands auteurs, mais lors de sa formation à l’E.S.P.E. on lui a dit que : « …son rôle serait d’adapter avec bienveillance les jeunes à une société du tout-numérique et de la communication instantanée. »
Et Satan met en garde Patrice Désormais contre Théophile de Saint-Chasne car : «… il est, contrairement à vous, extrêmement brillant. » Il le présente, alors, comme l’ennemi à abattre…
Dans ce premier livre, l’auteur reprend un thème développé par Rutebeuf, ce poète du XIIIe siècle qui avait déjà réutilisé une idée similaire et en avait tiré une pièce portant pour titre Le Miracle de Théophile. Le thème se construit autour d’un contrat avec le Diable, Satan, Méphistophélès… pour obtenir la connaissance, la richesse, l’amour, contre son âme. Ici, l’idée est originale dans la mesure où Satan veut conquérir l’humanité par le biais de l’éducation. C’est la vision d’une forme pédagogique qui est l’enjeu du marché, un marché qui, d’ailleurs, n’est pas souscrit de plein gré.
Et le romancier oppose deux approches au sein de l’enseignement avec, d’un côté, tout un appareil de formation dédié à un mode qui amène à un conditionnement proche de l’asservissement et, de l’autre, un héros solitaire qui défend une idée plus humaine voulant donner, à de futurs adultes, la faculté de raisonner, de réfléchir.
Jérémie Delsard ne fait pas dans la dentelle pour montrer une structure figée, paralysée, confite dans des blocages idéologiques, des responsables de toutes natures qui campent sur des positions passéistes ne pensant qu’à défendre leurs avantages. L’éducation de la jeunesse passe au dernier plan.
Il donne à son héros, amoureux des belles lettres, des grands auteurs, un vocabulaire relevé, recherché, le dotant d’une façon de s’exprimer inspirée de celle des siècles classiques. Parallèlement, il met dans la bouche d’enseignants, de responsables pédagogiques, un langage plus restreint, pauvre en expressions et en idées, usant des facilités offertes par le numérique. Les portraits de ceux qui entourent le héros sont truculents tant l’auteur les charge des pires opinions, voulant faire évoluer des concepts relativement accessibles en des galimatias bouffis qui perdent tout leur sens.
Faut-il voir dans ce récit une parabole portant sur la capacité à enseigner, une manière de mettre le doigt sur des dysfonctionnements ?
Ce premier tome se lit avec passion pour les différentes visions qu’il porte et qui ne sont qu’une réalité transposée en fiction. Quoi que !
serge perraud
Jérémie Delsard, Le Miracle de Théophile, Le cherche midi, coll. “Cobra”, avril 2024, 416 p. — 22,50 €.