David Quéré, Buvard et Pelucheux

Bouloches et porosités

Un banal besoin presque d’amour dicte cette sorte de rêve de David Quéré — phy­si­cien fran­çais, direc­teur de recherche au CNRS et ayant publié exclu­si­ve­ment des articles et ouvrages scien­tifiques — et crée Buvard et Pelu­cheux,  pre­mière œuvre lit­té­raire du savant. Elle est fas­ci­nante. N’en dou­tons pas : l’angoisse de l’abandon et la crainte de déchoir peuvent rendre plus fébrile un tel auteur. Mais il est ici à la hau­teur de Flau­bert et suf­fi­sam­ment plus que bon pour connaître une noto­riété roma­nesque.
Dans son cas, et comme pour son modèle,  il est assez lucide pour savoir qu’en se pla­çant au plus bas pos­sible de ses per­son­nages, il reste aussi haut qu’il en exige (en tant qu’impossible). Et  ce, par quelque chose comme une sou­ve­rai­neté bri­co­lée mais réussie.

Au post­hume roman inachevé Bou­vard et Pécu­chet, Quéré a donc imposé ses propres doubles fré­né­tiques. Ils vou­laient tout savoir sans jamais rien com­prendre, inca­pables de par­ve­nir à quoi que ce soit. Mais le nou­vel auteur, pen­ché sur un tel couple, manie à son tour les bribes de choses lues (Joyce, Proust, Cin­gria, Bal­zac, Borges…) et sa mémoire afin de prendre la lit­té­ra­ture par la queue en la secouant et la retournant.

Poreux et bou­lo­chés comme  leurs ancêtres, les épi­gones  sou­haitent « vivre pépère » en touillant parmi les débris du  savoir afin de  redo­rer leur bla­son et sur­tout d’espérer aller jusqu’à la fin du livre qui ter­nit l’image des pre­miers (vu le refus de la fin de par­tie de Flau­bert). Se doutent-ils seule­ment que ces pages, dont ils se croient une nou­velle fois les héros, dis­si­mulent un nou­veau tortionnaire ?

Pas sûr car ils offrent des pos­si­bi­li­tés de bas­sesse, des inso­lences zutiques, des sabirs et bien des fatra­sies en une sorte de mir­li­ton ubuesque et de pots-pourris par la sur­en­chère à laquelle ils s’acharnent dans une telle insi­gni­fiante que nul ne peut décla­rer qui ils sont. Mais Quéré fait plus que les sau­ver. Sa farce anthume sauve la post­hume d’une  Nor­mande ‘Suisse”.

jean-paul gavard-perret

David Quéré, Buvard et Pelu­cheux, Illus­tra­tions de Jean-Charles Blais, Fata Mor­gana, Font­froide le Haut, 2024, 56 p. — 13,00 €.

1 Comment

Filed under Chapeau bas, Espaces ouverts, Romans

One Response to David Quéré, Buvard et Pelucheux

  1. Villeneuve

    David Quéré en sou­ve­rai­neté bri­co­lée et bou­lo­chée réus­sit une mas­ter class .
    Le phy­si­cien et l’écrivain JPGP font boule de neige . Jouons et rions !

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