Deux mystères inextricablement liés
En ce mois de décembre 1872, dans l’Ain, une femme accouche de deux garçons, aidée par un apprenti médecin qui veut que son ami se débarrasse des enfants.
À la fin de l’année 1893, Claude Tardy, inspectrice départementale du travail, contrôle un atelier de couture qui ne respecte pas la loi votée en 1892 sur le travail des enfants. Soudain, on vient chercher la patronne car un accident a eu lieu à la tréfilerie proche. Sur place, Claude retrouve Edgar Roux, son chef. Ils constatent qu’un jeune homme, presque décapité, est prisonnier d’un faisceau de fils. Pour les responsables il s’agit d’un suicide.
Sœur Placide est chargée d’accueillie de nouvelles orphelines qui vont travailler aux soieries Perrin à Saint-Jean-le-Vieux près de Pont d’Ain. Elle a un choc quand elle voit l’une des fillettes. Elle va chercher d’où vient cette orpheline qui lui rappelle…
Trois mois plus tard, sur le lac de Sylans, des hommes peinent à découper la glace qui partira dans toute la France, même jusqu’à Alger. Patrice Jacquet veut s’isoler pour un besoin naturel mais ce qu’il voit le déstabilise. Il tombe dans l’eau glaciale. Une de ses jambes est broyée par des blocs en mouvement. Claude et son chef vont sur les lieux pour contrôler les conditions de l’accident. À l’endroit où l’ouvrier a été ébranlé, ils découvrent un corps pris dans la glace. Mais pour Claude, ce n’est pas possible, c’est le mort dans la tréfilerie.
Elle n’aura de cesse de trouver des explications mais ce qu’elle va approcher… De son côté, sœur Placide veut absolument connaître les origines de cette fillette quel qu’en soit le prix…
Tout autour de ces deux enquêtrices et de leurs traques, Cécile Baudin multiplie les mystères, introduit de nouvelles interrogations, des rebondissements qui donnent à son intrigue un tonus majeur. Et les péripéties s’enchaînent jusqu’à un poignant dénouement orchestré de belle manière.
L’auteure anime deux enquêtrices bien différentes par leur environnement. Claude Tardy est une des rares femmes à intégrer ce service nouveau. Son arrivée dans l’Ain, pour travailler avec son chef, se passe très mal dans la mesure où celui-ci avait besoin d’un homme. Les femmes ne peuvent pas aller dans tous les lieux de travail. Elle doit donc, pour certaines missions, s’habiller en homme et porter une moustache postiche.
Sœur Placide est une religieuse qui appartient à l’ordre de Saint Joseph, que sa hiérarchie met à disposition pour encadrer les jeunes orphelines qui viennent travailler dans les usines. Elle a vécu une expérience qui l’a beaucoup marquée.
Avec ces deux héroïnes, la romancière développe une belle galerie de protagonistes singuliers, chacun ayant un beau profil psychologique et un caractère étudié. C’est une suite de personnages aux identités riches par leur passé, par leur quotidien presque entièrement dévoué à un travail. Elle raconte aussi le travail des femmes, leurs conditions d’existence, celui de ces orphelines confinées dans un milieu d’où elles ne sortent que pour se marier.
Cécile Baudin fait vivre de façon minutieuse, détaillée, les personnages qu’elle met en scène. Elle livre de très nombreux détails tant dans l’élaboration de la soie, le tissage de cette fibre, quele travail sur les cocons, la manière dont il fallait les traiter. C’est aussi la vie quotidienne de cette époque dans ce pays industrieux. C’est d’une richesse stupéfiante. Elle détaille les opérations, les processus de l’époque. Elle fait visiter avec brio les entreprises de cette seconde moitié du XIXe siècle, que ce soit le travail des métaux, celui du tissage et de la confection des tissus et cette activité particulière d’exploitation de la glace.
Mais elle livre aussi des informations usuelles comme le coût des caractères télégraphiés, les trousseaux que se constituaient les filles pour se marier. Elle possède une fine connaissance de l’anatomie masculine et de l’effet d’un froid intense sur une partie de celle-ci.
Un roman attractif au possible pour le foisonnement tant historique, professionnel que social. Le tout se marie à merveille avec deux enquêtes menées avec pugnacité.
serge perraud
Cécile Baudin, Marques de fabrique, Editions 10/18, coll. “Polar”, avril 2024, 384 p. — 8,90 €.